Avec l’arrivée d’une nouvelle équipe dirigeante en France, les divergences franco-allemandes qui pouvaient être latentes ici ou là vont ressortir au grand jour. Ainsi, nous risquons fort de faire face à une aggravation de la crise des dettes souveraines dans la zone euro, le nouvel épisode grec de vide politique post-électoral ne faisant que dégrader un climat psychologique déjà détestable…
Dans une série de plusieurs articles, je vais donc vous proposer d’analyser ces divergences profondes autour de trois sujets afin d’estimer leurs conséquences prévisibles sur l’évolution d’un certain nombre d’actifs financiers. Aujourd’hui et les prochains jours : la divergence quant au pacte budgétaire.
Deux positions opposées
La chancelière allemande fait de la rigueur budgétaire en Europe un axe incontournable de sa politique économique rappelant que la croissance économique doit être assise sur une croissance appuyée par des réformes structurelles plutôt que sur des dettes.
Le président élu français, François Hollande, sera certes accueilli « à bras ouverts » lors de sa première visite en Allemagne, qui a eu lieu hier soir, avait dit Mme Merkel lors d’une conférence de presse. Elle a ajouté : « Nous travaillerons bien et de façon intensive ensemble ». Pour l’Allemagne, cela revient à se montrer inflexible sur le pacte budgétaire européen que le nouveau président français veut amender en lui intégrant un volet croissance (entendez par là croissance keynésienne par la demande alors que la situation française de déficit de compétitivité militerait pour une croissance par l’offre et les réformes structurelles).
Et Angela Merkel d’ajouter : « Il n’est pas possible de tout renégocier après chaque élection car dans ces conditions l’Europe ne fonctionne plus ».
On sait que les marchés ont besoin de croissance économique pour que les actifs dits risqués performent ; mais qu’ils ont aussi besoin d’une gestion rigoureuse des deniers publics pour que les actifs assis sur la solvabilité des émetteurs soient assurés.
Je ne m’attarderai pas sur les quelques principes de bon sens qui devraient guider une politique économique digne de ce nom :
- privilégier les bonnes dépenses publiques – à savoir celles qui sont rentables et favorisent la croissance ;
- favoriser les bons impôts (d’un point de vue macroéconomique s’entend) – à savoir ceux qui favorisent l’investissement en capital-risque et ceux qui n’alourdissent pas le coût du travail en détaxant par exemple les facteurs de production susceptibles d’être délocalisés.
Force est de reconnaître que, tant du côté dépenses que du côté recettes, la France prend – si ne serait-ce que le début du programme du président élu s’appliquait – le chemin exactement opposé à celui de la mise en place d’une croissance vertueuse.
Examinons donc les conséquences de ces différences « culturelles » franco-allemandes sur les marchés financiers. J’ai envisagé trois scénarios.
SCENARIO 1 : le maintien de la rigueur budgétaire et des politiques monétaires et de change au secours de la croissance
On peut imaginer un deal franco-allemand intégrant la BCE qui maintiendrait des politiques budgétaires rigoureuses. Avec cependant de légères inflexions sur le degré de rigueur imposée en adaptant celle-ci à l’état des finances publiques nationales et à la soutenabilité de cette rigueur par les économies concernées.
Les adaptations de la politique de rigueur
Cela donnerait donc :
- mise en place d’une politique budgétaire modérément restrictive pour les pays vertueux que sont l’Allemagne, les Pays-Bas et la Finlande ;
- mise en place d’une politique budgétaire très restrictive pour des pays tels que la France, l’Espagne et l’Italie « condamnés » à rester dans la zone euro ;
- enfin, traitement particulier pour la Grèce qui inscrirait sa politique budgétaire restrictive dans la durée mais, qui, à court terme, sortirait de la zone euro tout en disposant d’un nouveau statut monétaire lié à l’euro (nouveau taux de change dévalué de 30% par exemple par rapport à l’euro avec un cours pivot et des marges de fluctuation de +/- 5% voire 10%). Ce serait l’occasion également de planifier pour ce pays un vrai programme d’assistance pour revitaliser (réindustrialiser ?) le pays, ce qui serait bien plus efficace que les inutiles plans de sauvetage UE-FESF-FMI de 2010-2011 ;
- sur le change, ce QE à l’européenne affaiblira l’euro fortement avec chute de l’euro/dollar dans une zone 1,10/1,15, les fondamentaux triomphant… Et si les marchés étaient tentés d’aller chercher la parité ?
Les trois leviers pour compenser cette rigueur – et leurs conséquences
Afin de compenser une politique budgétaire globalement très restrictive à l’échelle globale de la zone, on peut imaginer que deux leviers seront largement utilisés :
1) une « dévaluation » implicite de l’euro contre les autres grandes devises (USD, GBP et JPY) afin de redonner un peu d’oxygène à l’économie par une plus forte compétitivité des exports – encore que cet avantage ne concernera pas beaucoup les pays les moins dotés en produits industriels ou services exportables. Naturellement le gouvernement allemand et la BCE accepteront tacitement cette dépréciation du change. Nous tablons dès lors sur des objectifs de forte baisse de la monnaie unique :
- zone 1,10/1,15 pour l’EURUSD (contre un range 2012 compris entre 1,29 et 1,35) ;
- poursuite de la baisse de la parité EURGBP dans la zone 0,72/0,75 (plus-bas historiques de 2003 contre 0,80 aujourd’hui et sachant que l’on a débuté l’année 2012 autour de 0,83) ;
- poursuite également de la baisse de la parité EURJPY en dépit des menaces d’intervention sur le marché des changes de la banque du Japon dans la zone 95/98 (niveau actuel de 103 et range 2012 compris entre 97/111,60).
L’appréciation du yen, favorisée par le maintien d’une forte aversion au risque sur les marchés financiers, et l’appréciation du dollar, favorisée par l’absence probable de futurs assouplissements quantitatifs et par la diminution des déficits de la balance de paiements courants, viendront appuyer ces scénarios de dévaluation de l’euro.
2) Toujours dans le souci de compenser le caractère extrêmement restrictif des politiques budgétaires, la BCE garantira plus ou moins explicitement le maintien d’une politique monétaire accommodante sur plusieurs années. Pour cela, elle ramènera en deux à trois fois le niveau de son principal taux directeur dans une zone 0,25/0,50% proche de celle des autres grandes banques centrales, contre 1,00% à ce jour.
3) En enfin, avec ce scénario, je parie par ailleurs sur une remontée des taux obligataires des emprunts d’Etat de la zone euro et ce, malgré une politique budgétaire rigoureuse et le maintien de taux courts très bas (je finalise d’ailleurs une série d’articles sur le krach obligataire qui nous attend d’ici la fin 2013) :
- vous pouvez donc vous attendre à une remontée des taux longs allemands vers les 3,00% (contre 1,60% aujourd’hui) ;
- et jusqu’à 4,50% sur le 10 ans français (contre 2,80% aujourd’hui).
J’ai évalué la probabilité que ce scénario politique et économique se réalise à 60%.
Demain, nous envisagerons le deuxième scénario possible : un changement de cap économique de l’Allemagne et, vendredi, je vous parlerai du troisième et dernier scénario possible : les attaques spéculatives sur les dettes souveraines, entraînant la sortie de l’Allemagne…
4 commentaires
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[…] Mercredi, nous avons vu mon premier scénario : le maintien de la rigueur budgétaire et des politiques monétaires et de change au secours de la croissance. Ce scénario est celui que j’estime avoir le plus de chance de se réaliser (60%). […]
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