Le programme de « Stabilité » du gouvernement présenté par Manuel Valls ne fait pas l’unanimité auprès des entreprises que je rencontre. Elles n’hésitent pas à m’avouer leur désarroi face à la déconnexion totale de nos élites politiques par rapport au monde industriel et économique, par rapport à la vraie vie.
Certes, les 21 Mds€ de prélèvements en moins pour les entreprises d’ici à 2017 vont dans le bon sens mais ils semblent insuffisants pour restaurer leur compétitivité et leur permettre d’investir. Il est illusoire de croire que la montée du crédit d’impôt compétitivité et emploi (le fameux CICE) et les nouvelles baisses de cotisations permettront de relancer l’investissement alors qu’il est en recul de 2,3% sur 2013 et l’était déjà de 1,9% en 2012.
Les hypothèses avancées par le gouvernement faisant état d’une reprise de l’investissement de 1,8% cette année et de 5,2% en 2015 sont évidemment beaucoup trop optimistes : la baisse des charges servira avant tout à reconstituer les marges des entreprises. Ensuite, seulement, nous pourrons avoir un impact sur le niveau d’investissement. Car oui, pour l’instant, la priorité est de redevenir rentable : le taux de marge des entreprises françaises est en baisse continue depuis 2010, tombant même à 28,1% en 2013, son plus bas niveau depuis le milieu des années 1980.
Mettez-vous à la place d’un chef d’entreprise : quand vous avez subi une telle baisse de votre rentabilité, vous pensez avant tout à améliorer votre bilan dans un premier temps, pas forcément à augmenter votre outil de production – sauf si vous êtes dans une période de forte demande et donc de forte croissance. Ce n’est absolument pas notre cas.
Les entreprises sont d’autant plus frileuses que 2013 fut une année bien sombre : il y a eu 63 452 défaillances d’entreprises, ce qui a valu plus de 4,8 Mds€ de dettes fournisseurs. C’est 10% de plus qu’en 2009, au plus fort de la crise ! Et, d’après la Coface (expert des risques d’entreprises), 2014 ne devrait voir que la stabilisation de ces défaillances car la croissance reste encore beaucoup trop faible pour espérer une vraie amélioration de la profitabilité. Comme en plus, les banques ne jouent pas le jeu et restent réticentes dans leurs prêts aux entreprises, on arrive à une situation délicate.
Aussi, je ne suis pas sûr que les mesures annoncées, comme la baisse des charges pour les salariés touchant moins de 1,3 fois le Smic à partir de 2015, soient suffisantes pour amener les entreprises à investir. Entre les voeux pieux du gouvernement et la réalité des entreprises, il y a un pas… et il est énorme.
Extrait de la lettre PEA, la lettre d’investissement d’Eric Lewin, dédiée aux grandes valeurs