Un peu déboussolé par des analystes qui parient sur des hausses de 50% des bénéfices d’entreprises industrielles du CAC40 d’ici 2018 (avec un Euro/Dollar à parité et un pétrole durablement ancré sous les 50 $), un peu intrigué par les rumeurs de mise en œuvre d’un QE4 en 2017 par la FED après une tentative avortée de normalisation de sa politique monétaire fin 2015/début 2016, Janet Yellen optant pour une fuite tout aussi éperdue que définitive vers la planche à billets – j’éprouve un certain besoin de revenir à de tangibles réalités.
Bon, évidemment, le marché et la hot money se contrefichent de l’économie réelle, de tout ce qui fait notre quotidien : seuls comptent les flux. La déferlante de liquidités transférées de Wall Street vers la City puis dispatchées entre Paris, Francfort et Milan est sans précédent depuis le 1er trimestre 2004 et l’été 2005 (les deux derniers épisodes de décrue de l’euro coïncidant avec un bull market aux États-Unis). Mais l’euro remonte (de 1,0480 vers 1,1020$) en une semaine et le moteur de la hausse pourrait bien connaître une petite panne d’alimentation.
Certains opérateurs très écoutés – comme la plupart des banques d’affaires (la smart money) – qui manifestent en public leur conviction haussière, préparent en coulisse le désengagement stratégique d’investisseurs institutionnels de premier plan.
Une véritable vague de reclassements…
Le mois de mars s’avère particulièrement fertile en nombre et valeurs des cessions colossales que nous avons vues.
Cela a commencé en début mois par la vente de 5% du capital de Veolia (FR0000124141) (485 M€) par Groupama ; puis l’État français annonça la cession de 4% du capital de Safran (FR0000073272) pour 4 Mds€. Ensuite, ce fut au tour de Wendel d’annoncer le reclassement de 11% du capital de Bureau Veritas (FR0006174348) pour 1 Md€.
Et puis tout s’accélère depuis 48H avec la cession de 10% du capital d’Accor (FR0000120404) par Colony Capital et Eurazeo (FR0000121121), la cession 22,5% du capital de Havas (FR0000121881) par Bolloré (FR0000039299) et le désengagement d’Airbus (NL0000235190) de Dassault Aviation (FR0000121725). Le diable se niche dans les détails : Airbus cède 17,5% du capital du constructeur du Rafale, pour 1,75 Md€ dont 5% avec une décote spectaculaire de -20% du cours, à 980 € : Dassault Aviation rachètera ses propres titres (12,5% du capital à 1.030€ par titre soit -18% par rapport au dernier cours de clôture). Et nous découvrons ce matin que le Fonds Souverain de Dubaï vend sa participation de 17,4% dans le LSE (London Stock Exchange) pour près de 2 Mds€.
… Explicable aussi bien par les optimistes que les réalistes
Les optimistes mettront ce florilège sur le compte de la « loi des séries » ; les investisseurs expérimentés pourraient y voir le signe que les « initiés » pressentent que le potentiel de hausse du marché est épuisé (mon collègue, Eric Lewin, y consacrait alors un article). Les optimistes répliqueront que tout ce papier trouve facilement preneur et que les vendeurs sautent du train en marche bien avant d’avoir trouvé la voiture bar pour finir le voyage au champagne.
Les pragmatiques souligneront que le système du « choix unique » (choisir des actions à l’exclusion de toute autre classe d’actifs) instauré par les banques centrales contraint de grands fonds à ramasser tout ce qui vient pour respecter leurs ratios de détention d’actions.
Ceux qui absorbent les ventes de ces blocs agissent dans le cadre d’un non-choix ; ceux qui vendent ne sont nullement contraints de le faire et sont de surcroît à la pointe de l’information comme Vincent Bolloré, Frédéric Lemoine (Wendel), Sébastien Bazin (Eurazeo), sans oublier les équipes de Lazard et Goldman Sachs qui sont sur tous les gros deals conclus à Londres et à Paris depuis le début du mois.
Alors à qui vous faites-vous le plus confiance ? Aux flux de la hot money ou aux mains fortes de la smart money ?