Goldman Sachs estime que le montant des rachats d’actions par les entreprises cotées s’élèvera à au moins 650 Mds$ cette année. Du côté de JPMorgan (JPM), on compte sur 800 à 850 Mds$. Cela représente 60% de plus que les 530 Mds$ de 2017.
▶ Un nouveau record historique
Un nouveau record historique de 113,5 Mds$ a été établi au mois de février. Et plus de 190 Mds$ de rachats ont déjà été annoncé sur les 10 premières semaines de l’année. Il en reste encore 42, au moment où nous faisons les comptes. Cela représente encore 750 Mds$ de rachats de titres à venir au rythme actuel.
JPMorgan est particulièrement bien placée pour en parler. En effet, c’est la plus grosse banque d’affaires aux Etats-Unis. Elle conseille justement la plupart des plus grandes entreprises du pays en matière de share buybacks. JPM compte certainement le plus grand vivier d’entreprises du S&P500 parmi ses clients. Et elle les accompagnera dans leurs opérations de gonflement artificiel des bénéfices par titres.
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Des experts (et pas seulement ceux de JPMorgan, pour le coup) ont calculé que pour la première fois de l’histoire, les entreprises du S&P500 vont acheter davantage de titres que l’ensemble des fonds de retraite, banques et hedge funds réunis !
Plus fort encore, la part des rachats d’actions dans la hausse apparente des bénéfices va dépasser la progression réelle des profits tirées des activités commerciales. Les économies d’impôts proprement dites vont représenter l’équivalent de 1% du PIB en 2018. Et cela va venir contribuer au versement de 515 Mds$ de dividendes supplémentaires sur les 1 000 Mds$ anticipés en 2018, selon Goldman Sachs.
Une petite parenthèse pédagogique s’impose alors.
▶ Les rachats d’actions, une escroquerie devenue légale !
Les rachats d’actions sont un outil d’enrichissement des actionnaires relativement nouveau. Il fête à peine ses 36 ans.
Depuis la naissance de Wall Street, à la fin du XIXe siècle, et durant la plus grande partie du XXe siècle, les rachats d’actions étaient illégaux. En effet, ils étaient considérés comme une forme de manipulation boursière. C’est également une incitation à endetter les entreprises dès que le coût de l’emprunt était inférieur au taux de progression mécanique du dividende par réduction du « flottant ».
Puis tout a changé en 1982 lorsque la SEC les a légalisés. Mais les chefs d’entreprise ne se sont pas précipités tant que les taux d’intérêt étaient élevés. En revanche, à partir de 1987 et l’arrivée d’Alan Greenspan, le coût de l’argent a commencé à baisser spectaculairement.
▶ Les rachats d’actions : un outil clé pour doper les cours de Bourse
10 ans plus tard, en 1997, les rachats de titres avaient dépassé les dividendes en tant que principal moyen de redistribution des fonds aux investisseurs. Et à partir de 2010, avec des taux d’intérêt ramenés à zéro par la Fed, c’est devenu un outil clé pour doper les cours de Bourse. Pour rappel, c’est sur ces derniers que les primes des P-DG sont calculées.
Lorsqu’ils ont du cash en excédent, les dirigeants d’entreprise peuvent hésiter entre investir et le redistribuer aux actionnaires. Depuis 2010, la balance penche systématiquement en faveur des rachats de titres.
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L’excuse la plus souvent évoquée est que l’annonce d’un programme de rachat constitue la preuve que le cours de Bourse est jugé sous-évalué ! Mais cela fait plus de 5 ans que les actions US battent des records – non seulement algébriques, mais également en termes de PER ! Les chefs d’entreprise ont beau jeu de défendre que leur entreprise est sous-évaluée. Car dans la « vraie vie », ces stratégies de rachats d’actions signifient que les dirigeants abandonnent la possibilité de réinjecter ces liquidités dans l’entreprise. Mais cela s’accompagne le plus souvent du gel des embauches ou des augmentations.
▶ Le suicide des marchés… et des entreprises
Les chercheurs Robert Ayres et Michael Olenick décrivent le boom du rachat d’actions dans l’économie américaine comme un « suicide corporatif ». « Nous constatons que les rachats excessifs des dernières décennies sont une cause importante de stagnation séculaire, dans la mesure où ils s’opèrent au détriment de la Recherche & Développement tout en contribuant au gonflement de bulles d’actifs qui ne créent aucune valeur ».
Les rachats d’actions sont d’ailleurs presque toujours initiés lors des phases d’euphorie boursière, lorsque les cours des actions sont très élevés. Les rachats d’actions ne sont que rarement annoncés dans les moments difficiles, lorsque les cours des actions sont bas. (voir graphique ci-dessous).
Selon Bloomberg, le précédent record d’annonces de rachat a été enregistré lors des 12 mois précédant la crise financière de 2008. Cela fut certainement le pire moment de l’histoire pour acheter des actions… avant peut-être 2018 !
(NDLR : cette analyse a été initialement publiée dans Béchade Confidentiel, la lettre stratégie de Philippe Béchade. Pour recevoir le dernier numéro et découvrir la stratégie du mois, c’est par ici).