Par G. Habault
SANOFI : un pari à 800 millions de dollars contre les moustiques
Chaque année, pas moins de 100 millions de personnes sont infectées par la dengue. Cette maladie tropicale invalidante – parfois mortelle (20 000 décès par an) – transmise par les moustiques menace près de la moitié de la population mondiale.
Pourtant, pour l’heure, il n’existe pas de vaccin. C’est la qu’entre en scène SANOFI (FR0000120578). Après avoir été le premier labo à lancer un vaccin contre la polio, SANOFI pourrait bien devenir le premier labo à commercialiser un vaccin contre la dengue.
Le marché visé est large et les retombées commerciales d’un vaccin comme celui-ci indéniables. Néanmoins, la concurrence est rude et l’avenir du candidat-vaccin actuellement développé par le groupe est encore loin d’être assuré…
Voyons cela de plus près.
Un important potentiel commercial
Eu égard aux cas recensés et aux endroits où les moustiques sont présents sur la planète, la population susceptible d’être frappée par la dengue atteint 3 milliards de personnes – il y a même eu des cas avérés en France métropolitaine comme en Ardèche, par exemple, qui pourtant n’est pas réputée pour son climat tropical.
Si l’on part de ce constat et qu’on le rapporte à la natalité mondiale annuelle – environ 85 millions de personnes – on peut estimer que 36 millions de personnes supplémentaires peuvent potentiellement contracter la dengue.
Ces nouveaux patients potentiels permettraient de contrebalancer le côté « one shot » du traitement. En effet, ce type de traitements à prise unique est bien moins lucratif que les traitements curatifs chroniques qui ont permis aux pharmas d’engranger des bénéfices colossaux. Mais là, si l’on tient compte du nombre d’individus potentiellement concernés, il y aura ainsi toujours de nouveaux patients à vacciner.
D’après certains analystes, les ventes annuelles de ce vaccin contre la dengue sont estimées à 2,5 milliards de dollars. L’objectif de SANOFI est, pour sa part, de produire 100 millions de doses par an.
Des résultats cliniques mitigés
L’essai de Phase III (dernière étape avant la commercialisation) est actuellement en cours. Portant sur plus de 30 000 enfants et adolescents en Amérique Latine et en Asie du Sud-Est, le groupe devrait publier ses résultats d’ici à 2014.
Le succès n’est pas garanti. Dans un large essai clinique mené sur plus de 4 000 enfants en Thaïlande, le vaccin a fourni une bonne protection contre 3 des 4 virus qui causent la maladie. Cependant, alors que SANOFI mise gros sur la dengue, les premiers résultats cliniques dévoilés en septembre dernier apparaissent plutôt mitigés.
En effet l’étude publiée dans le très réputé The Lancet indiquait un taux de protection global de 30,2% bien loin de l’objectif minimal d’usage pour les vaccins. Ces résultats sont sûrement dus au fait que le vaccin ne protège pas contre tous les types de dengue. Il s’est en effet montré inefficace contre la dengue de type 2, la souche dominante de la maladie.
Un pari osé
Malgré cela, SANOFI a d’ores et déjà recyclé son site de Neuville-sur-Saône – sous le coup d’un plan de restructuration – en site de production. Ce dernier sera capable de produire 100 millions de doses par an. La réhabilitation de ce site, les frais de R&D et la fabrication des premiers lots de vaccin ont nécessité à ce jour un investissement total de 800 millions de dollars. Un pari délicat, sachant que la mise sur le marché n’a pas encore été validée…
Et cela d’autant que le labo français n’est pas le seul à viser ce marché. Certains de ses concurrents développent eux aussi leur propre vaccin contre la dengue. La société de biotechnologie Inviragen, associée au japonais Takeda, dispose ainsi d’un programme similaire. Des essais sont aussi en cours chez la big pharma américaine Merck.
En définitive, aux vues des résultats cliniques déjà publiés (pour la dengue de type 2), des investissements réalisés et de la concurrence, les analystes sont partagés sur ce programme. Certains spécialistes estiment que SANOFI a investi trop massivement avant même de savoir quel sera le profil final de son produit. Mais la direction de SANOFI s’en est défendue et le P-DG de déclarer récemment devant ses actionnaires que « la nature des vaccins apporte davantage de réussite clinique qu’un nouveau médicament ».
En cas de succès de cet essai clinique de Phase III l’an prochain, le cours pourrait réagir favorablement. Le pari est osé – pour ne pas dire risqué – mais, étant donné le besoin important pour traiter cette maladie, et en raison d’un manque d’option vaccinale à l’heure actuelle, le risque d’exécution paraît tout de même limité sur ce programme. Du moins à court terme…