Lundi dernier a été lancé un contrat à terme sur les emprunts d’Etat français. Lancement hautement polémique car plusieurs candidats à la présidentielle se sont emparés du sujet pour dénoncer la mainmise des spéculateurs sur l’avenir financier de notre pays. Derrière les effets de manche et le discours politique, qu’en est-il vraiment de ces ventes à découvert ? Représente-t-il un réel danger pour notre économie et notre indépendance ?
L’occasion pour Mory Doré, responsable du département des risques financiers dans un grand groupe bancaire mutualiste, de se pencher sur cet outil, et de faire la part des choses, entre méconnaissance, fantasmes et réalité.
Hier, il est revenu sur deux points :
– Première clarification : un instrument classique, utile par exemple à vos fonds d’épargne retraite
– Seconde clarification : ces contrats à terme ne sont pas nouveauxAujourd’hui, Mory s’intéresse à la spéculation… pour démontrer son utilité dans le fonctionnement des marchés.
Troisième clarification : la spéculation peut-être utile
On ne peut fixer comme objectif à un contrat à terme sur instruments financiers d’éviter qu’il y ait des positions ouvertes spéculatives. C’est un non-sens et une absurdité.
Il doit exister des traders-spéculateurs et des arbitragistes pour que les investisseurs puissent couvrir leurs risques sur les marchés financiers. Ces investisseurs transfèrent sur les banques de financement et d’investissement les risques qu’ils ne peuvent pas supporter d’un point de vue économique et réglementaire.
Les spéculateurs, même si leur objectif reste court-termiste, créent une liquidité indispensable au fonctionnement des marchés. Interdire la spéculation, c’est supprimer l’existence du marché, c’est donc supprimer toute couverture pour les agents économiques privés.
Les arbitragistes, quant à eux, jouent un rôle de régulation des prix de marché et profitent des anomalies de valorisation de certains actifs. Ils vendent ce qui est surévalué et achètent ce qui est sous-évalué. Il peut y avoir des limites liées aux modèles d’évaluation d’actifs et ce type d’intervenants a souvent massivement recours à l’effet de levier pour rentabiliser leurs stratégies (moins aujourd’hui car il coûte plus cher de le financer). Mais globalement, tout comme l’activité de trading, ce type de métier participe au fonctionnement efficient des marchés.
Le rôle d’un marché est de laisser :
- les investisseurs particuliers et institutionnels de long terme faire fructifier sereinement leur épargne;
- les investisseurs institutionnels et trésoriers couvrir leurs risques dans des conditions économiques satisfaisantes (grande liquidité ainsi que prix concurrentiels et transparents des instruments de couverture).
Certes le rôle de la régulation consiste à imposer certaines limites au poids de certains actifs structurés, illiquides et à effet de levier important. Le nouveau contrat à terme sur la dette publique n’est ni structuré, ni illiquide (ce devrait même être tout le contraire) et comporte un levier normal propre à tout instrument dérivé classique.
Les années 1980 : dérégulation, désintermédiation et déréglementation des marchés
Nombre d’hommes politiques si prompts à faire le procès des marchés financiers aujourd’hui en arrivent à oublier que ce sont eux, quel que soit leur bord politique, qui ont purement et simplement délégué leurs politiques économiques à ces mêmes marchés au début des années 1980 dans le monde anglo-saxon et depuis le milieu des années 1980 en Europe continentale.
C’était alors la fameuse période des 3D : dérégulation, désintermédiation et déréglementation.
A cette époque, les marchés étaient parés de toutes les vertus aux yeux des politiques : financement efficace de l’économie en désintermédiant la relation entre le prêteur et l’emprunteur. Une des vertus était aussi le financement massif des dettes publiques (comme en France avec la participation de banques – SVT – spécialistes en valeurs du Trésor lors des adjudications mensuelles de titres d’Etat).
Il est facile de condamner aujourd’hui la prétendue folie des marchés en leur demandant de souscrire aux émissions de bons du Trésor et en leur interdisant de vendre ceux-ci lorsqu’ils estiment, à tort ou à raison, que les politiques budgétaires ne sont pas suffisamment rigoureuses et mettent en danger la solvabilité de certains Etats.
La disparition du risque de change avec la création de l’euro a malheureusement conduit à un relâchement des disciplines budgétaire et fiscale des pays ayant déjà des déficits extérieurs. La hausse de l’endettement extérieur des pays déficitaires de la zone euro fut naturellement facilitée par la disparition du risque de change et le financement des déficits extérieurs de certains pays par les excédents d’autres pays.
Le marché est un révélateur, ce n’est parce qu’il est déplaisant qu’il faut le tuer
Jusqu’au moment où les marchés ont compris que certains de ces pays étaient entrés dans une crise non pas de liquidité mais de solvabilité. On a alors eu recours à la BCE pour qu’elle finance directement la dette de ces pays ou indirectement via les LTRO. Ces prêts ont permis aux banques des pays déficitaires de continuer à acheter la dette souveraine nationale.
Les effets des LTRO commencent à s’estomper ; par exemple, les banques espagnoles auraient aujourd’hui épuisé la liquidité qui leur a servi à acheter de la dette souveraine de leur pays et à rembourser les échéances de début 2012.
Aujourd’hui, des primes de risque de change réapparaissent donc malgré une monnaie encore unique. On ne peut donc plus s’affranchir de la discipline budgétaire et fiscale. Dans le cas de la France, lorsque 70% du stock de dette de 1 700 milliards d’euros est détenu par des investisseurs non résidents, vous ne pouvez pas ignorer les exigences des marchés et agences de notation.
A moins de vouloir se diriger vers un moratoire concernant une partie de la dette publique, donc sur un défaut partiel suicidaire… Inutile d’accuser la spéculation et des produits financiers de tous les maux
Croissance et rigueur: le difficile équilibre
Notre pays vit au-dessus de ces moyens – on entend certains hommes politiques l’évoquer mais du bout des lèvres. C’est l’évidence même quand on examine nos ratios de déficit et de dette publics au regard de notre croissance potentielle et de notre capacité à accroître la pression fiscale sans dégrader encore plus la conjoncture. Nous ne sommes sans doute plus très loin du point haut de la courbe de Laffer à partir duquel toute hausse supplémentaire de la fiscalité décourage l’activité et fait donc baisser les rentrées fiscales… [Simone Wapler a quelque chose à vous montrer Découvrez sa vidéo exclusive sur un phénomène qui est en train de se dérouler en ce moment même — et qui menace votre épargne. Pour tout savoir sur ce bouleversement historique, il suffit de cliquer ici.]
Donc les marchés savent qu’il faut de la croissance économique pour que les actifs dits risqués performent : les actions, les obligations d’entreprises, les actifs indexés sur la performance des matières premières. Mais ils savent aussi qu’il faut une gestion rigoureuse des deniers publics pour que les actifs assis sur la solvabilité des émetteurs soient fiables : obligations d’Etat, obligations bancaires et dans une moindre mesure obligations d’entreprise.
Les marchés ont compris que la croissance sans la vertu budgétaire ne sert à rien et la rigueur budgétaire sans la croissance tout autant.
S’ils sont convaincus que les responsables politiques sont capables de créer les conditions de la croissance économique dans un environnement de maîtrise des équilibres financiers et de gestion rigoureuse des deniers publics, alors toute attaque spéculative n’aura aucune crédibilité et sera mort-née.
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Un grand audit des comptes publics
François Hollande a jeté le doute sur l’état réel des finances publiques en confirmant son intention, s’il est élu le 6 mai prochain à l’Élysée, de demander un audit à la Cour des comptes.
http://zebuzzeo.blogspot.fr/2012/04/francois-hollande-elu-un-grand-audit.html