Il reste une séance et demi avant le clap de fin, mais d’ores et déjà, un constat s’impose, implacable, lapidaire et douloureux : l’année 2018 aura été un bien mauvais cru pour les marchés actions. Le CAC40 accuse ainsi une baisse de près de 13% depuis le début du 1er janvier. Dans le même temps, le Dow Jones (bien qu’il se soit un peu « révolté » hier en fin de séance) est, lui, passé de 24 809 à 22 629 points, soit un repli d’un peu moins de 9%.
Mon confrère Eric Lewin a également souligné à maintes reprises dans ses publications (notamment ici et ici) le traitement de défaveur infligé aux petites et moyennes capitalisations. De fait, le CAC Small, le CAC Mid&Small et aux Etats-Unis le Russell 2000 (au sujet duquel un autre de mes collègues, Gilles Leclerc, se demandait à juste titre mi-octobre s’il n’avait pas mis fin à sa tendance haussière de long terme) affichent des reculs de respectivement 29,4%, 24,1% et 15,5% sur l’année. Vertigineux !
Les choses étaient pourtant bien engagées, les investisseurs ont longtemps été imperméables aux turbulences géopolitiques, qui n’ont pourtant pas manqué, et aux signes de ralentissement macroéconomique, mais ils ont fini par être en quelque sorte rattrapés par la réalité d’un tableau général assez noir. D’abord spectaculaire, la correction s’est transformée en un véritable changement de paradigme et une défiance quasi-primaire l’a emporté. Au diable les petites bonnes nouvelles, digérées aussi sec, tandis que les facteurs anxiogènes restent en travers de toutes les gorges.
Donald Trump ne fait plus recette
Grand feuilleton de 2018, émaillée d’un nombre considérable de rebondissements, avec un initiateur, le matamore et très conservateur Donald Trump, passé maître dans l’art de souffler le chaud et le froid – et de souffler sur les braises – la guerre commerciale reste un très gros caillou dans la chaussure des opérateurs. Ce même Donald Trump qui s’est longtemps attribué les mérites de la hausse de Wall Street se garde bien de plaider coupable pour son sell-off… Surtout, il ne fait plus « recette », les effets bénéfiques de sa fameuse réforme fiscale semblent commencer à s’estomper et le « shutdown », qui dure depuis près d’une semaine, découle directement de son obstination à ériger un « méga-mur » à la frontière mexicaine (il s’agit il est vrai de l’une de ses principales promesses de campagne).
Le torchon brûle entre le camp républicain et l’opposition démocrate, mais les divergences sont à peine moins profondes entre un locataire de la Maison-Blanche adepte de la planche à billets aux yeux duquel la question pourtant cruciale de la dette n’a jamais été un problème, et un patron de la FED, Jerome Powell, bien décidé à préserver l’indépendance de l’institution dont il a la charge en continuant à réduire la taille de son bilan, par-delà la conviction quasi-unanime d’une économie américaine en fin de cycle.
Et pour en revenir à la guerre commerciale sino-américaine (on passera cette fois sur les relations entre Washington et l’UE, loin d’être au beau fixe elles aussi), Donald Trump, encore et toujours lui, envisage maintenant d’interdire aux sociétés américaines d’utiliser les équipements télécoms des groupes chinois. De quoi anticiper une réunion explosive le mois prochain entre les représentants des deux pays.
L’équilibre européen en péril
De ce côté de l’Atlantique, le mouvement des « Gilets jaunes » donne d’évidents signes d’essoufflement, mais il n’est pas terminé et pourrait même reprendre de plus belle dans quelques jours, une fois passées les fêtes de fin d’année. Son impact sur la croissance française ne saurait être mésestimé et c’est peu dire qu’il a déstabilisé un exécutif contraint de lâcher du lest pour tenter de circonscrire l’incendie.
Les mesures que ce dernier a adoptées en urgence auront un impact sur le budget de l’Hexagone. Plus largement, Emmanuel Macron a tout à craindre des prochaines élections européennes, qui interviendront dans un climat particulièrement délétère pour les forces acquises à la doxa de Bruxelles, avec en toile de fond l’irrésistible montée d’un ras-le-bol face à l’inflexibilité de ses règles budgétaires – l’Italie en sait quelque chose – et à son incapacité à apporter des solutions à même de calmer les esprits chauffés à blanc par l’interminable crise migratoire.
Outre-Channel, la Grande-Bretagne est pour sa part supposée quitter enfin l’Union européenne en mars, près de trois ans après la victoire du Brexit dans les urnes. Les débats doivent reprendre à la Chambre des Communes le 9 janvier prochain et s’annoncent eux aussi très animés. Première ministre, Theresa May a enregistré mi-décembre une victoire personnelle avec le rejet de la motion de défiance qui émanait de son propre parti (!) Elle n’en a pas moins la très lourde tâche de piloter un processus de sortie semé d’embûches et à l’issue incertaine. Des conséquences économiques tout bonnement cataclysmiques sont à redouter… et elles le seront davantage encore dans l’hypothèse, vraisemblable, d’un divorce sans accord.
Pour l’heure, rien n’est signé et la situation est tellement ubuesque, les craintes tellement vives que plusieurs centaines de manifestants ont réclamé il y a quelques semaines dans les rues de Londres la tenue d’un nouveau référendum.
Toujours dans l’UE, si Bruxelles et Rome sont parvenus à trouver un terrain d’entente il y a quelques jours sur la brûlante question du budget italien, le bras de fer pourrait avoir laissé des traces et donner le sentiment à bien des électeurs que cette Europe-là est définitivement réfractaire à toute concession en matière de souveraineté nationale.
Last but not least, l’Allemagne, la locomotive de l’Europe, commence à tirer la langue. Mi-octobre, Philippe Béchade rapportait ainsi dans ces colonnes que la fédération allemande des chambres de commerce et d’industrie DIHK (qui réalise une enquête mensuelle auprès de 27 000 chefs d’entreprise) avait fortement révisé à la baisse son estimation de la croissance du pays de 2,1 à 1,8% en 2018 et de 2 à 1,7% en 2019. D’une manière générale, la « kolossale » industrie allemande fatigue et les grands constructeurs automobiles du pays, fleurons nationaux qu’Angela Merkel protège comme elle peut, accuseront le coup si Donald Trump persiste à les prendre pour cible et à vouloir imposer des droits de douane à l’entrée du territoire américain.
Alors oui, c’est un fait : le tableau s’est nettement assombri. Le fait que les marchés actions ont terminé l’année à bout de souffle, presque exsangues, est une autre réalité (que nous étions d’ailleurs nombreux à avoir anticipée aux Publications Agora). Loin d’avoir donné lieu à un rally, le mois qui s’achève aura même été le pire mois de décembre pour Wall Street depuis 1931.
Pourtant, curieusement, les médias dits mainstream se sont jusqu’à présent montrés assez peu diserts sur cette brutale – et durable – poussée de fièvre. Peut-être faut-il attendre qu’ils daignent s’emparer du sujet pour que les marchés actions remontent, selon une règle boursière non-écrite, mais qui se vérifie presque à chaque fois.
On se rassure comme on peut…
Marchés actions : et si la lumière venait des penny stocks ?