Elle n’avait pas le « droit » de se manquer. Pas le droit de ne pas sortir l’artillerie lourde. Mario Draghi, lui, n’a pas le droit de rater sa sortie, à moins de deux mois du passage de relais à Christine Lagarde, dont tout indique qu’elle lui succèdera dignement, en hissant très haut les couleurs de la politique monétaire accommodante.
Parce que l’économie de l’eurozone patine, voire pâlit, la BCE se devait de faire quelque chose. Quelque chose de fort, comme l’espérait toute la communauté financière sans le cacher.
Quelques minutes avant la traditionnelle conférence de presse, la semaine dernière, on a appris que le conseil des gouverneurs de la banque centrale s’est accordé sur un redémarrage, dès le 1er novembre, de son programme de rachats d’actifs. Une bonne nouvelle pour les investisseurs, même si le rythme mensuel, 20 Mds€, est deux fois inférieur aux anticipations des économistes et peut paraître assez timoré au regard de ce qui avait été décidé en 2015. A l’époque, la BCE avait en effet initié un « quantitative easing » de 80 Mds€ mensuels, avant de réduire la voilure à 60 Mds€ fin 2016 puis à 30 Mds€ en 2018.
Le ressort profond de ce programme était déjà de soutenir l’économie face aux incertitudes et aux risques. En ce second semestre, les menaces n’ayant pas exactement disparu, on prend donc les mêmes recettes, on recommence et on s’emploie à rassurer tout le monde en précisant bien que ce « QE light » (du moins pour l’instant) sera maintenu aussi longtemps que nécessaire afin de renforcer l’impact accommodant de la politique de taux. On l’arrêtera plus tard, une fois que les taux d’intérêt seront relevés, c’est-à-dire pas tout de suite.
Autre annonce de poids, bien que largement anticipée : un repli de dix points de base du taux de facilité de dépôt, qui était déjà en territoire négatif, à – 0,5%. Et parce qu’il faut bien en garder un peu sous le pied quand même, les taux d’intérêt des opérations principales de refinancement et de la facilité de prêt marginal ont pour leur part été maintenus à 0% et à 0,25%.
Au tour de la FED
Voilà, la BCE a donc fait le job et le marché, avant d’hésiter davantage, a apprécié, comme en a témoigné le pic annuel du CAC40 à 5 667 points hier peu avant 15h, une vingtaine de minutes après l’entame de la conférence de presse susmentionnée. Et pour paraphraser l’expression de Philippe Béchade formulée hier dans ces colonnes, il reste « de la place pour rêver à ce que Christine Lagarde pourrait mettre en œuvre d’ici 2020 ».
Ce sera maintenant à la FED de jouer, cette semaine. Une FED dont le comité de politique monétaire statuera la semaine prochaine et qui sera attendue au tournant elle aussi, notamment par un Donald Trump qui n’a de cesse de brocarder son patron Jerome Powell, coupable à ses yeux d’avoir « manqué une opportunité comme on n’en voit qu’une dans toute une vie » d’appliquer une politique monétaire de taux zéro comme celle actuellement mise en œuvre dans tant d’autres pays. Et tant pis si une telle politique n’a pas permis au Japon et à l’eurozone de se désendetter, l’essentiel étant qu’elle convienne aux marchés…
Dans le dernier numéro de Béchade Confidentiel, Philippe et son acolyte Gilles Leclerc se sont chargés d’étriller ces vieux pots qui, aux yeux des opérateurs et du président américain, envers et contre toute rationalité économique, continuent de faire les meilleures soupes.
Quant à la FED, sa place n’est pas enviable, prise en étau qu’elle est aujourd’hui entre un Donald Trump plus intrusif que jamais et qui ne se satisfera de toute façon pas d’une réduction des taux directeurs de 25 points de base, et la nécessité plus ou moins impérieuse de soutenir une économie américaine dont on ne sait plus très bien comment elle va.
Pour le coup, les marchés pourraient bien déchanter, sauf à céder aux injonctions présidentielles, mais au risque de semer le trouble quant à son indépendance.
https://agorapub-labourseauquotidien.pf6001.wpserveur.net/risque-recession-evalue-40-pour-cent-fin-2020/