Vœu déjà ancien de Donald Trump, le rétablissement des sanctions économiques américaines contre l’Iran est entré en vigueur ce mardi à 4h01 du matin (GMT) et le caractère intransigeant des rhétoriques en présence présage d’un conflit durable entre Washington et Téhéran.
Entre les États-Unis et l’Iran, c’est, on le sait, une histoire très compliquée. Du triomphe de la révolution islamique, à l’origine de l’apparition du surnom tenace et sans équivoque de « Grand Satan », à l’accord sur le nucléaire de 2015, marqueur historique ardemment souhaité par Barack Obama, en passant par l’obscur Irangate (qui a lourdement pesé sur le second mandat de Ronald Reagan) et le slogan néo-conservateur « Axe du mal » de George W. Bush, ce furent 36 années de déclarations incendiaires, d’escarmouches et, parfois, de tragédies.
Je pense ici au drame de l’USS Vincennes, ce croiseur américain qui, en 1988, au crépuscule de la guerre Iran-Irak, abattit par erreur un Airbus A300 d’Iran Air, tuant ses 290 passagers et membres d’équipage. Si les deux gouvernements trouvèrent un accord pour une indemnisation des familles des victimes, Washington a toujours refusé de faire acte de contrition dans cette affaire…
Des relations éminemment complexes depuis près de quarante ans
Les relations américano-iraniennes sont en fait un cas d’école de la complexité extrême (surtout lorsque les intérêts sont très différents, voire opposés) qui caractérise parfois la diplomatie. Avec d’un côté un Oncle Sam qui n’a jamais, pas même sous Barack Obama, abandonné complètement son idéal de seul gendarme du monde, et de l’autre un pays longtemps obnubilé par la destruction d’Israël et par l’accès à l’arme nucléaire, deux notions antinomiques, deux perspectives impensables pour quiconque aspire au maintien de la paix dans le monde.
La réalité actuelle est toutefois plus complexe, le régime iranien semble s’être nettement adouci avec la dégradation de la situation économique et il convient – conviendrait – d’appréhender l’Iran de 2018 à l’aune d’un phénomène grave : la résilience de Daech, mouvance sunnite radicale certes en nette perte de vitesse sur le plan territorial, mais dont l’idéologie mortifère a probablement de beaux jours devant elle. Or, l’État islamique exècre l’Iran chiite. Il y aurait donc quelque intérêt, au nom de la lutte contre une menace latente, protéiforme et planétaire, à envisager un rapprochement avec l’ennemi historique.
Problème : l’Iran est allié à la Russie, autre ennemi historique des États-Unis, et à Bachar el-Assad, président syrien accusé de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, qui n’est pas exactement un enfant de chœur, mais était, est et demeure un bouchon contre le péril islamiste. S’il saute, cette vague déferlera…
Les États-Unis ne semblent pas en avoir conscience et soutiennent l’opposition dite modérée à Bachar el-Assad depuis le début de la guerre en Syrie, il y a sept ans déjà. Pour autant, un rapprochement encore impensable au début des années 2000 a eu lieu en 2015, avec la signature de l’accord précité sur le nucléaire entre l’Iran d’une part, et l’Europe et les États-Unis d’autre part. Des garanties indispensables ayant été fournies par le président Hassan Rohani, il s’agissait de faire revenir le pays dans le concert des nations.
Depuis, des sociétés comme Airbus Group, Boeing et Total se sont engouffrées dans la brèche. C’était sans compter Donald Trump, qui depuis la campagne présidentielle fustige l’Iran, considéré comme l’État voyou par excellence, aussi sûrement qu’il cajole une Arabie Saoudite pourtant pas irréprochable sur les questions des droits de l’Homme, et qui favorise la promotion et la diffusion du mouvement wahhabite…
Le double langage des États-Unis
L’ardeur et la détermination du président américain ne se sont pas résumées à ces tweets au vitriol dont il a le secret. Assimilant l’accord de 2015 à une véritable hérésie, il avait juré de le déchirer et l’a fait, au risque de s’attirer les foudres d’une Union européenne qu’au demeurant il méprise. Concession majeure à un Israël trop souvent tancé par son prédécesseur et auquel il apporte un soutien franc et systématique depuis son accession au pouvoir ? Donald Trump a quoi qu’il en soit opéré un virage à 180 degrés sur ce dossier brûlant et renoué avec les orientations diplomatiques historiques du pays dont il a la charge.
Pas en arrière lourd de sens pour ses contempteurs, disposition logique pour garantir la sécurité de l’État hébreu aux yeux de ses partisans, le rétablissement des sanctions se fera par étapes. Dans un premier temps, les transactions financières ont été bloquées, tout comme les importations de matières premières, tandis que des mesures pénalisantes ont été adoptées sur les achats dans les secteurs de l’automobile et de l’aviation commerciale. Au passage, ces derniers se comportent bien en Bourse, comme si la mauvaise nouvelle était depuis longtemps intégrée dans les cours.
Les sanctions sont effectives dès à présent pour les nouveaux contrats, alors que les sociétés étrangères disposent d’un délai allant de 90 à 180 jours pour cesser de commercer avec l’Iran.
Doivent ensuite entrer en vigueur, en novembre, des mesures plus douloureuses, car touchant le sacro-saint secteur pétrolier et gazier, qui pourrait – lui – en être quitte pour des turbulences boursières, le transport maritime ainsi que la Banque centrale.
Donald Trump tient sa proie et n’a aucune intention de la lâcher, à moins que l’Iran ne « change son attitude menaçante et déstabilisatrice ». Dans le cas contraire, le chef de l’exécutif américain a fait savoir qu’il pourrait envisager un « accord plus global qui concernerait l’ensemble de ses activités néfastes, y compris son programme balistique et son soutien au terrorisme ».
L’économie iranienne est (déjà) moribonde
De son côté, Hassan Rohani a fermé la porte à toute négociation dans le contexte actuel. « En même temps que des sanctions, que signifie proposer des négociations ? Si quelqu’un, face à son concurrent ou son ennemi, sort un couteau, lui plante le couteau dans le bras et demande en même temps de négocier, la réponse est qu’il doit d’abord remettre son couteau dans sa poche et venir à la table des négociations et à la logique des négociations. Les États-Unis cherchent à créer le doute chez les Iraniens dans une guerre psychologique », a estimé le président iranien, qui réclame des États-Unis qu’ils prouvent leur bonne foi.
C’est peu dire qu’il ne goûte pas le double langage de Donald Trump. Une stratégie entre fermeté et ouverture au dialogue qui n’est pas sans rappeler la « méthode » qu’a utilisée la Maison Blanche avec la Corée du Nord, mais que n’approuve pas non plus l’Union européenne, laquelle a réaffirmé sa « détermination à protéger les opérateurs économiques européens engagés dans des affaires légitimes avec l’Iran ».
En la circonstance, les États-Unis sont donc seuls et ils pourraient peut-être aussi, avec ce rétablissement des sanctions, qui sait, apporter une bouffée d’oxygène salutaire à un gouvernement plus que jamais conspué dans les rues. Le grand retour de l’Oncle Sam comme « ennemi public numéro un » peut-il conduire à une forme d’union sacrée et lui apporter du répit ?
Il est encore trop tôt pour répondre à cette question, mais il ne fait en revanche aucun doute que l’économie iranienne, déjà très fragilisée, ne sortira pas renforcée du rétablissement des sanctions. Plombé par un taux de chômage et une inflation élevés, le pays, par ailleurs gangréné par la corruption, a également vu sa devise, le rial, perdre les deux tiers de sa valeur en l’espace d’un semestre.
On ne saurait imputer en la circonstance cette situation aux États-Unis, même si Hassan Rohani devrait tout faire pour exagérer la responsabilité américaine…
Les Américains privés de pistaches, l’Iran privé de Boeing et d’Airbus