Et si l’inflation ne repartait jamais ? Si la question peut se poser, cela ne devrait pas être le cas.
En effet, le rapport américain sur l’emploi (NFP) publié le vendredi 8 décembre apporte de l’eau au moulin des théoriciens de l’alignement des planètes. Nous vivons une heureuse conjonction de croissance durable et synchrone.
Et elle est volontiers associée à une absence de risques inflationnistes (peu ou pas de tensions salariales, sauf petites pénuries de circonstance comme dans le secteur de la construction après les cyclones).
L’économie américaine aurait généré +228 000 emplois en novembre. C’est donc moins que les +244 000 d’octobre (révisés à +266 000) mais 15% de plus que les 200 000 attendus.
▶ Bienvenue dans un monde déflationniste
Et la meilleure surprise provient de la stabilité du salaire horaire. Il passe de 26,50 $ à 26,55 $. Et la progression des salaires s’établit à +2,5% en rythme annualisé (contre +2,3% en novembre où le chiffre avait été jugé faible). Les gains de productivité semblent provenir en grande partie de l’automatisation et de l’apport de l’intelligence artificielle (IA).
Je ne vous apprendrais rien en rappelant que 99,9% des études prospectives sur l’impact de l’IA + numérisation à grande échelle + big data concluent à un impact négatif sur l’emploi. Particulièrement sur l’emploi hautement qualifié (asset management, back office, fonctions support, comptabilité dans le secteur bancaire, par exemple)… On note une véritable hémorragie dans les services à la personne.
Le Japon met progressivement des robots capables de remplacer les auxiliaires de vie à domicile, de cuisiner, d’effectuer de la manutention (lever et coucher des malades). Ils remplacent aussi certains gestes médicaux (prise de sang, injection de médicaments) et une série de diagnostics assez complets, entre autres.
De même, l’automatisation de la conduite détruirait des millions d’emplois à travers le monde. En tête, les taxis et VTC qui ne sont d’ailleurs pas considérés comme des emplois à forte valeur ajoutée.
A moins d’inventer dans l’urgence de nouveaux secteurs créateurs d’emplois (comme le secteur automobile à l’entame du XXe siècle ou le secteur Internet au début du XXIe), l’IA risque de mettre au chômage beaucoup de gens. Ou tout du moins cela entraînera une forte dévaluation des salaires dans les secteurs des services.
▶ Alors quid de la hausse des taux ?
En résumé, numérisation rime avec déflation. Et c’est ce qui fait dire à de nombreux experts que la hausse des prix n’est pas prête de devenir une préoccupation pour les banques centrales. C’est pourquoi si la Fed rajoute 25 points ce 12 décembre, Wall Street l’a déjà intégré et n’anticipe pas un nouveau tour de vis avant 6 mois. Quand à la BCE, elle ne bougera pas avant 2019.
Mais ce n’est que regarder la problématique des taux par le petit bout de la lorgnette. N’oublions pas que, sur les 2 500 Mds€ déjà injectés par la BCE, seuls 250 ont réellement alimenté l’économie réelle. Le reste n’a servi qu’à réduire le différentiel de rendement entre l’Allemagne et les Pays-Bas d’un côté et la France/Espagne/Portugal/Italie de l’autre.
Des milliers de milliards d’euros sont stockés (gelés) dans les coffres virtuels de la BCE. Ils doivent permettre aux Etats de ne pas faire faillite. Et cet impératif l’a emporté largement sur la distribution de crédit et l’investissement. Il en a résulté un taux de rotation monétaire affligeant de lenteur. Et, sans vitesse de circulation, pas d’inflation à l’horizon… Donc pas de hausse des rendements obligataires.
Mais c’est une conclusion erronée. Car, comme nous venons de l’évoquer, les QE ont écrasé la courbe des taux, ont désintégré le risque perçu. Pourtant, le risque réel n’a jamais été aussi préoccupant.
▶ Le monde numérisé est déflationnistes
Le monde numérisé est certes déflationnistes, mais moins de salaires, c’est moins de consommation (moins de TVA). C’est, en revanche, plus de croissance des bénéfices et plus de concentration de la richesse entre les mains des 0,01% qui pratiquent tous l’optimisation fiscale – pour ne pas dire « l’évitement fiscal » – ce qui prive les Etats des recettes indispensables pour réduire leurs déficits.
Alors bien sûr, il y a l’Allemagne qui dégage des excédents dans des proportions dantesques face à l’Italie : +435 Mds€ d’après le solde Target 2. Mais, si elle exige le versement de telles sommes, l’Italie se désintègre. N’oublions pas qu’elle supporte 320 Mds€ de créances douteuses, dont les 2/3 sont probablement irrécupérables. Si l’Allemagne ne l’exige pas, alors le versement des retraites allemandes va s’avérer très problématique. Le pays vieillit et il y a moins de cotisants… Mais aussi, et surtout, il n’y a plus de rendement en Europe depuis 5 ans.
Si les banques centrales arrêtent leurs QE d’ici fin 2018, elles cesseront de contrôler la partie longue de la courbe des taux. Tous les investisseurs qui achetaient cyniquement des émissions obligataires à 7, 10, 15 ans high yield sur la seule promesse que la banque centrale les leur rachètera plus cher demain cesseront de le faire !
Ils auraient déjà dû lâcher l’affaire. Mais, grâce à la Chine, l’argent est demeuré très abondant… ou trop abondant cette année pour penser à la prochaine ?
Quand les taux se remettront à intégrer le risque, il sera déjà trop tard !