Les ministres des Finances de l’Union européenne prévoient d’alerter le G20 lors de la réunion prévue les 11 et 12 avril prochains à Washington. Objet de leurs préoccupations : les « vulnérabilités financières émergentes » induites par la finance hors système bancaire.
C’est en tout cas ce que révèle un document du Conseil européen du risque systémique (présidé par Mario Draghi, qui est également à la tête de la Banque centrale européenne) consulté par Reuters.
Une autre réunion, qui se tient quant à elle depuis aujourd’hui à Bucarest (la Roumanie assurant la présidence du Conseil de l’UE), doit permettre d’étudier les mesures à même d’empêcher la gestion d’actifs et les chambres de compensation d’attenter à la stabilité financière.
L’Union européenne évalue entre 25 et 30% la taille de l’intermédiation non-bancaire du crédit par rapport au système financier mondial.
Blackrock, le leader mondial de la gestion de fonds, revendique pas moins de 5 330 Mds€ de fonds gérés, soit presque autant que les PIB du Japon et de la Russie réunis. Cela fait de lui un acteur systémique de premier plan, mais qui n’est soumis ni à la réglementation, ni à la supervision qui pèsent sur les banques.
Elke König, la présidente du Conseil de résolution unique (le CRU, créé pour piloter la liquidation d’établissements de crédit en faillite), a néanmoins déclaré mardi au Parlement européen que les risques liés à la compensation concernent aussi de grandes banques d’investissement comme JPMorgan Chase ou Goldman Sachs.
Le Brexit, canalisateur des inquiétudes
La sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne n’est pas non plus étrangère à ces inquiétudes. C’est en effet à Londres que se trouve la première chambre de compensation de produits dérivés au monde, LCH, filiale de la London Stock Exchange Group (LSE). Or, si à l’approche du Brexit, Bruxelles a su étendre son pouvoir de supervision en contraignant LCH à relocaliser une partie de ses activités sur le sol communautaire, la réglementation n’a pas pu suivre. « Nous n’avons pas fait tous les progrès que nous aurions dû faire sur la reprise et la résolution », a ainsi déploré Elke König.
C’est désormais à l’échelon mondial que Bruxelles espère agir. Dans l’immédiat, l’Union européenne a reconnu être mal préparée à l’éventualité de graves perturbations qui frapperaient les chambres de compensation, devenues des « points de convergence » du système financier international.
Valses-hésitations de l’Europe
La directive MIF sur les marchés d’instruments financiers avait, dans une première mouture datant de 2010, favorisé le développement des marchés de gré à gré non-contrôlés. C’est sur des plateformes organisées que la négociation des instruments dérivés a ensuite été redirigée par une réforme de MIF en 2011.
Face à des crédits de gré à gré qui privilégient le rendement, quitte à sacrifier la sécurité du marché régulé, la Commission européenne exprime sur son site web son inconfort, redoutant que « de nouvelles règles ne poussent les risques [financiers] vers des secteurs moins régulés ».
Un règlement européen de novembre 2015 insiste plutôt sur la transparence des opérations en financement sur titres.
Il est quoi qu’il en soit difficile de réglementer un secteur en croissance sans dynamiser encore davantage le gré à gré dérégulé. Et ce quand bien même certains économistes comme Jean-Yves Archer voient dans le shadow banking des « suites de transactions au sein desquelles l’électricité et les algorithmes sont les médiateurs de jeux d’écritures à vocation spéculative ».
Le poids de la finance fantôme, comme elle est parfois désignée, est tel que le FSB (Conseil de stabilité financière, émanation du G20) l’estimait à quelque 52 000 mds$ à fin 2017 dans sa définition la plus resserrée… et jusqu’à 117 000 Mds$ dans sa définition la plus large du terme).
A 52 000 Mds$, le shadow banking pèse déjà 13,5% des actifs financiers mondiaux. Et il progresse si vite qu’il pourrait bientôt atteindre son niveau record de 2007 (14,9%).