Préparez-vous à l’impensable !
C’est en ces termes que certains « initiés » gravitant à proximité des hautes sphères de la BCE nous avertissent des dissensions au sein de l’institution : Nous serions proches d’un tournant radical dans son mode de fonctionnement.
Il s’agit évidemment d’une « fuite organisée » : si un pays -à plus forte raison l’Allemagne- décidait de faire cavalier seul, cela serait tenu secret et les lanceurs d’alertes finiraient au fond du Rhin couverts de chaînes et les pieds coulés dans du béton… j’exagère à peine.
Une fuite organisée qui signifie que la BCE a bien l’intention d’aller au bout de sa logique de « whatever it takes » pour tenir sa récente promesse de « sauver l’Europe »… qui se surajoute à l’impératif d’assurer la pérennité de la monnaie unique.
Les conditions économiques évoluent, la BCE fait évoluer sa politique monétaire, un bouleversement survient, la BCE bouleverse à son tour les règles du jeu, les marchés applaudissent… à quoi bon s’opposer aux vents porteurs de l’histoire au nom du respect de traités européens dont plus personne ne veut entendre parler ?
Ceux qui gèrent les principales devises concurrentes de l’euro (dollar, yen, livre sterling) n’ont aucun scrupule à fouler au pied les principes qui fondent une devise « forte » en monétisant la dette à coup d’impression massive.
D’accord, c’est « de la triche » mais celui qui ne triche pas au Monopoly planétaire perdra à coup sûr la partie : il n’y a pas de risque de sanction émanant d’une entité suprême à l’encontre des tricheurs, la seule règle c’est à malin, malin et demi !
Bras de fer entre la BCE et la Cour allemande
Les juges allemands tentent pourtant de jouer ce rôle d’arbitre mais leur sphère de compétence reste cantonnée aux frontières de ce qui n’est plus qu’un pays parmi d’autres, subordonné à une entité plus vaste et qui lui est juridiquement supérieure (la Haute Cour de justice du Luxembourg)… et qui considère comme illégal toute ingérence et toute entrave à l’action de la BCE.
Fort de ce principe, la BCE pourrait aller jusqu’à lancer une procédure judiciaire contraignant la Bundesbank à prendre part aux nouveaux programmes de rachat que les autorités juridiques allemandes pourraient déclarer illégales, parce que contraires aux traités initiaux.
En fait, la BCE ne respecte plus depuis 2012 « la lettre » de ses propres règlements, et tout le monde ferme les yeux, parce que cela arrange tout le monde… et la Bundesbank semble presque fermer les yeux.
Jens Weidman, le patron de la « Buba » a exprimé à maintes reprises sa désapprobation, mais n’a jamais brandi la menace de faire sécession : il a participé à hauteur d’un quart à tous les achats globaux de l’Eurosystème et a gardé pour lui ses interrogations sur les effets indésirables des « QE ».
D’autres s’interrogent plus ouvertement, à l’image des Finlandais ou des Néerlandais mais on ne voit pas bien quelle « instance » pourrait intimer l’ordre aux BCE locales de cesser de participer à la monétisation de la dette et de cesser de dévaluer la qualité des actifs qu’elle détient, et dont la note minimum devait être au moins de « BBB+ ».
La cour allemande pourrait interdire à la Bundesbank de prendre part aux achats qui sont jugés illégaux à la lumière des principes fondateurs de la BCE.
La question que pose le plan de relance européen à 750 Mds€ qui requiert l’approbation de la totalité des pays est la suivante : est-ce que l’unanimité et l’obligation d’y participer va demeurer la règle ?
Si la Bundesbank est censée n’acheter que des obligations allemandes, c’est ensuite la BCE qui décide seule quelle part elle en prélève, en fonction d’une « clé de répartition » prédéfinie suite à des achats mensuels limités à 30% de toute tranche d’émission souveraine éligible (c’est à dire notée de AAA à BBB au minimum), 3 règles de base qu’elle s’apprête à fouler au pied dès ce mois de juin.
La BCE a déjà ralenti ses achats d’obligations allemandes depuis début mars pour concentrer ses efforts sur l’Italie, sous pression sur le marché obligataire.
Les achats de titres souverains allemands par la Bundesbank n’ont représenté que 628 millions d’euros en avril, soit 2,3% seulement des 275Mds€ d’achats totaux réalisés dans le cadre du PSPP ce mois-là alors que la dette allemande « pèse » théoriquement 25% du bilan de la BCE.
Beaucoup de gérants et d’analystes se réjouissent déjà que la BCE manifeste par ce biais qu’elle a bel et bien tourné la page du passé et que le silence de l’ensemble des pays membres vaut approbation.
Mais ils ont décidément l’oreille sélective et ne veulent pas entendre les objections des Pays Bas, de la Finlande, la Suède et la Pologne… et d’une partie du personnel politique allemand.
Ils n’ont pas non plus entendu que le plan de soutien de 750 ou 1 000 Mds€ ne sera adopté qu’au terme d’âpres discussions qui se prolongeront probablement jusqu’à la fin de l’été (c’est Ursula Von der Leyen elle-même qui disait ce mercredi se préparer pour un long marathon) et que les sommes prévues ne seront débloquées qu’au 1er janvier 2021, et par tranche annuelle jusqu’en 2027, ce qui en limite grandement la portée.
Le marché n’écoute rien, il ne tient compte de rien, il ne comprend les choses que de la façon qui lui convient : tout se passe comme si le plan était déjà voté à l’unanimité, que l’argent était disponible tout de suite et dans son intégralité (au lieu d’un peu plus de 100 Mds€ par an durant 7 ans).
Le marché n’applique plus qu’une seule maxime: si la réalité ne convient pas, réinventons-là !
Investir dans ces conditions, cela revient à pratiquer l’art de la divination !