Certains lecteurs de la Bourse au Quotidien ont pu légitimement être saisis d’un doute en découvrant ma vidéo de mercredi. J’y évoquais des gérants européens en quête de rendement à tout prix ; des gérants achetant des émissions obligataires d’entreprises américaines dont ils ne savaient presque rien, sinon que leur dette permet de capter une rémunération de 3% et plus, à mesure que l’on progresse dans l’échelle des risques.
Sauf que la perception des risques peut évoluer à une vitesse qui donne le tournis, comme nous avons pu le constater avec les entreprises qui se sont lancées dans le shale oil à coup d’endettement massif dès 2010 et qui semblaient parfaitement rentables avec un pétrole à 100 $ le baril, moyennant un prix de revient de 90 $ le baril (tous frais inclus).
Pour revenir aux émissions de dettes évoquées dans la séance vidéo de mercredi, il s’agit bien d’opérations libellées en euro. Celles-ci présentent l’avantage de permettre un refinancement à des taux bien plus confortables qu’aux Etats-Unis.
Selon les données compilées par Fitch Ratings (qui jette un œil et donne son avis sur toutes les émissions qui se présentent sur le marché), les entreprises américaines ont déjà placé pour 32 Mds€ d’Eurobonds depuis le début de l’année, soit presque un quart de la totalité des émissions recensées en 2016.
Et devinez quoi : ces levées de fonds à crédit servent principalement à financer des rachats d’actions et non à réduire le coût de la dette… et donc encore moins à investir.
Même les entreprises de private equity (typiquement les holdings de participation) rachètent leurs propres actions au lieu de chercher de nouvelles cibles pour étoffer leur portefeuille.
Plus frappant encore : les entreprises américaines sont en fait déjà N°1 en tant qu’émettrices (avec 23% de part de marché), devant les allemandes (16%) et les françaises (12%).
Et au sein de cette déferlante de papier qui submerge les marchés obligataires en ce milieu de second trimestre, plus de 6% des obligations de sociétés non financières européennes en circulation (soit un encours de 170 Mds€) affichent des rendements négatifs. (Nous parlerons d’ailleurs de tout ce phénomène de bulle obligataire et de risque maximal lors de la conférence du 17 juin ; nous sommes complets pour cette conférence, mais nous avons prévu de la filmer ; nous vous tiendrons au courant).
La BCE peut être fière de sa stratégie : la rémunération du risque a été anéantie à l’assèchement du marché, qu’elle va renforcer en entamant hier ses premiers achats de dettes corporate. Ceci contraint les gérants à « rentrer du risque » dans leur portefeuille, en négligeant totalement le risque de rien pouvoir revendre sur le marché secondaire, faute de liquidité sur la plupart des récentes émissions, trop étroites et dont personne ne veut en réalité.
Vous n’en voudriez pas non plus, n’est-ce pas ?
Vous ne vous sentiez d’ailleurs même pas concernés… avant qu’un doute s’installe dans votre subconscient !
Car franchement : Pourquoi vous infligerais-je une chronique sur une thématique consacrée à des instruments aussi « marginaux » si cela ne vous concernait pas ?
Jugez plutôt : lorsqu’un institutionnel ramasse une émission un peu exotique d’une maturité de 15 ans, c’est vous qui en prenez, indirectement au travers de votre assurance-vie ou de votre SICAV obligataire « dynamique », vraiment pour 15 ans, avec tous les risques de « collage » (pas de contrepartie à l’achat) évoqués plus haut. (Alerte d’ailleurs de Simone sur les contrats d’assurance-vie : voyez son message ici)
Bien entendu, il subsiste un vaste marché secondaire sur la dette d’Air Liquide (FR0000120073), qui vient d’émettre 3 Mds€ pour financer le rachat américain d’Airgas, de Peugeot (FR0000121501), de Sanofi (FR0000120578) ou encore de Total (FR0000120271). Et c’est, je vous rassure, ce qui constitue l’essentiel des lignes d’une SICAV orientée rendement.
S’agissant d’une société nouvellement introduite sur le S&P 500, dont à peu près personne n’a jamais entendu parler, mais qui va muscler un peu le rendement de votre SICAV, ce qui fait foi aux yeux des gérants (comme pour les subprimes il y a 10 ans), c’est la note que lui attribuent les agences. Si la dette est gratifiée en moyenne d’un BB (BB+ ou BB-), l’acheteur institutionnel motivé par le rendement y va les yeux fermés.
Alors vous pourriez être tentés de renoncer à prendre les mêmes risques et à opter pour davantage de sécurité en devenant plus défensif, avec un portefeuille composé exclusivement de bons du Trésor.
De nombreux Américains ont fait ce choix, d’autant plus volontiers que, contrairement à des Bunds qui rapportent 0,05% ou des OAT à 0,4%, les T-Bonds délivrent 1,8% de rendement en moyenne depuis le début de l’année.
Sauf que ce n’est qu’une moyenne… Les T-Bonds flirtent depuis quatre séances avec le plancher technique majeur des 1,70%. Si leur rendement se contracte brusquement vers 1,60% puis 1,50% dans la foulée, ce ne sera vraiment pas bon signe.
Non, vraiment pas !
Cela signifierait que nous assistons à une fuite vers la sécurité, accompagnée d’une liquidation symétrique des produits obligataires à risque (pas de croissance = risque de faillite pour les émetteurs fragiles que nous venons d’évoquer).
Cela signifierait que le marché, convaincu d’un scénario conjoncturel récessionniste, rejette toute perspective de hausse de taux avant les présidentielles américaines. C’est la pire hypothèse que la Fed a décrédibilisée. C’est d’ailleurs ce que Jim Rickards vous a expliqué dans un article aujourd’hui.
Il en résulterait un décrochage du dollar face à l’euro, Wall Street serait submergé par les doutes relatifs à la croissance. Comme d’habitude, pour soutenir le Dow Jones et le S&P, les gérants américains commenceraient par liquider les actifs libellés en euro, encaissant au passage une belle plus-value sur notre devise.
Face au décrochage du dollar, la Banque centrale du Japon (BoJ) pourrait succomber à la tentation de l’helicopter money : la fuite en avant dans une guerre des changes à outrance ! Plus que jamais, le système IMPACT de Jim Rickards a son intérêt : vous devez absolument pouvoir en profiter et Jim est expert dans les guerres des devises (il n’y a qu’à voir son portefeuille qui engendre des gains à 3 chiffres assez régulièrement).
Oui : le risque, c’est bien celui d’un ultime « grand n’importe quoi », que Shinzo Abe et Aruhiko Kuroda se lancent dans une politique monétaire Banzai… voire carrément kamikaze !
Pour conclure, surveillez attentivement l’éventuel enfoncement des 1,7% sur les taux longs américains. C’est peut-être bien la clé d’une correction majeure… sur les actions !