Les marchés actions pédalent dans le vide, depuis le début de l’année. Mais au 30 octobre, le Dow Jones a clôturé à 24 874 points, soit exactement le même niveau qu’à la première séance de 2018.
Bien entendu, certains titres ont grimpé ou ont chuté. Il y a eu énormément de volatilité, avec une correction de marché en février et en mars, un rally acceptable d’avril à septembre, et une deuxième correction en octobre.
Si vous avez été assez clairvoyant pour acheter à la baisse et vendre à la hausse tout au long de ces montagnes russes, tant mieux pour vous. La plupart des investisseurs n’ont pas eu cette chance. Soit ils ont vendu sur les replis et acheté en plein rally, en perdant de l’argent au passage, soit ils ont acheté et conservé pour constater que les actions… pédalaient dans le vide.
Il y a énormément d’avis différents sur ce qui a provoqué cette étrange stagnation du Dow Jones. Voici certaines des théories les plus répandues :
- Le mouvement de consolidation des cours, sur le marché actions, est symptomatique de la nouvelle guerre commerciale qui menace de pénaliser la croissance mondiale ;
- en termes de rendements, la hausse des taux d’intérêt met les actions en concurrence avec les bons du Trésor américain et d’autres obligations, vers lesquels les capitaux se réorientent ;
- le consommateur américain ploie sous un endettement excessif (cartes de crédit, crédits-autos, prêts immobiliers, prêts étudiants, etc.) et réduit sa consommation ;
- la baisse des cours des actions est souvent (pas toujours) un indicateur précurseur de récession économique. Selon cette opinion, l’économie américaine pourrait subir une récession en 2019, et le marché actions corrige simplement le niveau des cours pour refléter cette perspective ;
- la vigueur du dollar pénalise les principaux exportateurs tels que Boeing, GE, Caterpillar et d’autres, car les acheteurs étrangers considèrent que les produits américains sont trop chers ;
- les tensions sur le marché de l’emploi vont provoquer une hausse des salaires, ce qui pénalisera les bénéfices des entreprises à l’avenir ;
- le ratio dette nationale/PIB des Etats-Unis est de 105% et grimpe rapidement. Selon les études réalisées par d’éminents économistes, ce seuil est associé au ralentissement de la croissance ;
- le marché actions corrige à la baisse pour prendre en compte l’effacement de l’impact des baisses d’impôts de Donald Trump, et le fait qu’il n’y aura pas d’allègements fiscaux comparables en 2019. Ces baisses d’impôts ont favorisé la hausse des bénéfices, des dividendes et des rachats d’actions. Ces éléments ont eu un effet bénéfique sur les cours des actions mais ne se renouvelleront pas en 2019, alors il est temps que les actions retombent sur terre.
Certains de ces arguments sont plus forts que d’autres, mais tous ont suffisamment de substance pour offrir quelque explication. Le plus probable, c’est que tous ces facteurs convergent et s’amplifient les uns les autres pour expliquer la faible performance des actions. L’impact net est le suivant : les actions sont confrontées à de considérables obstacles qui impliquent encore plus de turbulences à l’avenir (au mieux) ou un marché baissier généralisé (au pire).
De même que de multiples explications justifient la faible performance du marché actions cette année, les investisseurs peuvent avoir de multiples réactions face à cette performance.
▶ Simple correction ou krach ?
Selon un groupe d’opinion, les mouvements des cours de 2018 ne sont qu’un petit incident sur le marché haussier le plus long de l’histoire. La correction de février peut être considérée comme une réaction démesurée à certaines craintes liées à l’inflation, provenant des chiffres de l’emploi relatifs au mois de janvier et publiés en février.
La correction d’octobre peut être considérée comme une réaction à retardement face à la guerre commerciale que Trump a engagée contre la Chine.
Bien entendu, les marchés ont attendu le mois d’octobre pour se rendre compte que la guerre commerciale était sérieuse et allait probablement durer longtemps, ce dont nous avions averti nos lecteurs dès le mois de janvier 2018. Pour autant, maintenant que le marché a réalisé sa correction, il est prêt à grimper en fonction des bénéfices des entreprises, des rachats d’actions et de la poursuite de l’expansion économique américaine.
Un autre groupe d’opinion considère que 2018 présage quelque chose de pire. Les techniciens identifient un « triple top », ou triple sommet, sur les séries temporelles de l’indice Dow Jones, d’où ce dernier n’a pas réussi à s’échapper à la hausse. Je vous en parlerai dès demain…
Ces pics ont été enregistrés le 26 janvier (26 616 points), le 21 septembre (26 743 points) et le 3 octobre (26 828 points). Comme l’indice n’est pas parvenu à atteindre les 27 000 points lors de ces trois tentatives, il serait à bout de souffle et prêt à amorcer un mouvement majeur à la baisse.
Là encore, ces opinions ne manquent pas de partisans. C’est ça, les marchés.
Dans les analyses ci-dessus, rien ne penche fortement dans un sens ou dans l’autre. Le marché pourrait continuer à grimper si la croissance persiste et que l’on juge exagérées les craintes liées à la dette.
De même, le marché pourrait continuer à stagner si la croissance ralentit et que la hausse des taux a de lourdes conséquences. Ces deux scénarios sont plausibles et il n’est pas surprenant que les marchés aient réalisé un parcours en dents de scie, cette année, alors que les partisans d’une perspective ou d’une autre prennent la main pour déterminer les cours.
▶ Vers une pénurie de dollars
Pour réaliser de meilleures analyses prédictives, il faut élargir le champ et rechercher de façon plus globale des facteurs de causalité. Il se peut que le moteur animant les cours des actions américaines ne se trouve ni dans les taux d’intérêt, ni dans la croissance, ni dans la fiscalité, ni dans la technique. Ce moteur pourrait bien se trouver à l’étranger, dans un contexte combinant l’impact de la pénurie de dollars dans le monde et une crise de la dette sur les marchés émergents.
Le concept de pénurie mondiale de dollars peut paraître étrange, considérant que la Fed a émis 3 600 Mds$ d’argent frais entre 2008 et 2014. Mais voilà, pendant que la Fed émettait cet argent, le monde souscrivait de nouvelles dettes libellées en dollars à un rythme encore plus rapide. Plus de 70 000 Mds$ de nouvelles dettes libellés en dollars ont été créés depuis 2008, à partir de ces 3 600 Mds$ d’argent frais. L’essentiel de cette dette a été créé par des banques étrangères, sous forme de dépôts d’euro-dollars utilisés pour financer des investissements en dollars constitués de bons du Trésor et de prêts aux entreprises.
A présent, on retire ces dépôts pour les investir dans des placements à haut rendement en dollars, aux Etats-Unis. Ce flux de capitaux explique en partie la vigueur du dollar. Par conséquent, les banques étrangères ne peuvent refinancer les prêts en dollars en raison de la rareté des dépôts en dollars. Cela provoque une contraction des liquidités au sein des marchés étrangers – en particulier en Europe – qui resserre les conditions monétaires et ralentit la croissance. Cela réduit les exportations américaines de machines et d’équipements destinées à des acheteurs étrangers.
La crise de liquidité des marchés émergents est liée à la pénurie d’euro-dollars. Les entreprises ont créé des milliers de milliards de dollars de dettes en s’appuyant sur des banques prêteuses étrangères. Le dollar ayant augmenté, cette dette est plus difficile à rembourser en percevant de la monnaie locale. Les emprunteurs licencient et réduisent leurs importations pour gérer cette contraction financière. Le problème est particulièrement grave en Turquie, en Iran, en Indonésie et en Argentine, mais il pourrait largement se propager aux marchés émergents, comme en 1994 et 1998.
La Chine est un cas d’école, s’agissant des effets produits par cette pénurie de dollars. Elle a une énorme dette libellée en dollars, mais ses recettes en dollars sont ralenties par les tarifs douaniers infligés par Trump, et d’autres effets de la guerre commerciale. La Chine a tenté de dévaluer sa monnaie pour booster ses exportations, mais ne peut persister sans fâcher le gouvernement Trump et l’inciter à prendre de nouvelles mesures punitives.
Ces facteurs étrangers font baisser les actions américaines, en plus des facteurs américains énoncés ci-dessus. Le marché actions américain peut encore être haussier, mais le scénario d’un marché baissier prend le pas si l’on intègre la situation internationale aux analyses.
Les investisseurs doivent se préparer à davantage de volatilité, de baisses et, au bout du compte, à un marché baissier à mesure que la croissance mondiale ralentira et que les liquidités mondiales se contracteront. La Fed va le découvrir dans la douleur, s’il n’est pas déjà trop tard.
Bien à vous,
Jim Rickards
Seconde séance de lourd repli pour Goldman Sachs, impliqué dans un dossier de corruption