Il faut désormais payer les États pour avoir le gigantesque privilège de leur prêter notre argent : pas moins de 25% des dettes souveraines émises en zone euro offrent déjà un rendement négatif.
La liste des pays qui gagnent de l’argent en jetant un os sans moelle à ses créanciers s’allonge chaque semaine : nous avions la Suisse, l’Allemagne, la France, les Pays-Bas, la Belgique, l’Irlande et l’Autriche… et à compter du mercredi 8 avril, l’Espagne emprunte désormais en servant une rémunération négative sur des échéances courtes (1 mois). L’Italie devrait bientôt suivre (les 10 ans espagnols et italiens sont à parité autour de 1,2%)… alors à quand le Portugal, dont il faut rappeler que la notation du 10 ans reste en catégorie junk bonds ?
Cela n’empêche pas Lisbonne d’emprunter à moins de 1,6% : c’est ce que rapportaient les OAT françaises notées AA+ l’été dernier… maintenant, il faut se contenter de 0,44%.
Le concept de taux négatifs rebutait plus d’un théoricien. Mais le temps qu’ils constatent le surgissement de l’impensable et admettent que l’anormalité devient la nouvelle norme, voilà que le rendement des bons du Trésor allemands à 4 ans dégringole maintenant en-deçà de l’objectif de prise en pension de la BCE (-0,20%) à -0,201%.
Toujours en vertu de la même logique de destruction délibérée de la valeur de la monnaie, il faut désormais payer pour prêter de l’argent à la Suisse sur toutes les maturités de 0 à 10 ans et même au-delà de 10 ans. La Suisse a émis ce mercredi pour 232,5 MCHF de dette de maturité 2025 (qui affiche un coupon de 1,5%) et la demande était telle que ces emprunts se sont arrachés à 116% du pair, ce qui fait ressortir symétriquement un rendement négatif de -0,055%.
De nombreux universitaires et économistes de renom se perdent en conjecture, certains crient « casse-cou »… mais pas Russ Koesterich, un des stratèges obligataires de Blackrock (la plus grosse firme de gestion d’actifs au monde)…
Selon M. Koesterich, le scénario se tient et il ne se passe rien que de très prévisible : la BCE a asséché le marché obligataire tandis que zone euro flirte avec la déflation, les rendements réels ou corrigés de l’inflation restent positifs, même si les rendements nominaux sont négatifs… donc les rendements peuvent devenir encore plus négatifs, et le prix des dettes souveraines encore disponibles – celles des pays dits « périphériques » va continuer à s’apprécier.
Les investisseurs avisés peuvent encore espérer engranger de substantielles plus-values avant l’échéance de la dette.
Certes, elle sera remboursée moins cher que ce qui a été payé initialement… mais pour s’épargner une perte en capital, il suffit de trouver un pigeon convaincu qu’avant de rechuter, les Bunds, OAT ou autres Bonos ont encore plusieurs mois d’ascension devant eux !
C’est exactement un raisonnement de béotien qui se laisse griser par un climat de bulle et qui n’a jamais eu la moindre curiosité intellectuelle concernant la constitution du couple rendement/risque et encore moins pour la théorie du marché efficient. Pourtant, un simple certificat d’étude de collège suffit pour comprendre que la BCE veut que les rendements baissent et que tout ce qui compte, c’est qu’elle conserve sa capacité de fixer les prix comme bon lui semble, peu importe que la rémunération du risque soit économiquement absurde.
Dans ces conditions, je ne peux que réitérer un des conseils que j’avais émis peu avant la séance des 4 sorcières : si le rendement est « tout ce qui compte » aux yeux de ceux qui se revendiquent allocataires d’actifs, alors nos utilities (sociétés de services aux collectivité) complètement délaissées depuis 2011 ne vont pas tarder à apparaître comme des cornes d’abondance – au même titre que les opérateurs télécoms depuis 18 mois.
Le prochain étage de la fusée haussière qui a entamé son décollage mi-janvier pourrait bien emporter sous sa coiffe GDF-Suez, Véolia, Suez Environnement et même EDF (une fois son implication dans le destin d’Areva clarifié).
Mais ce ne sont pas seulement ces titres qui vont grimper. Les gérants de Blackrock et ceux de Goldman Sachs, d’HSBC, du Crédit Suisse vont se jeter comme des affamés sur les émissions obligataires de ces nouveaux champions. D’ores et déjà, toutes les dettes corporate (entreprises privées) offrant plus de 3% trouvent preneur, à 5%, c’est la foire d’empoigne (essayez d’acquérir une ligne d’emprunt Peugeot).
N’importe quelle junk bond présente aujourd’hui l’attrait d’une ligne d’emprunt dotée d’un AAA étincelant.
C’est le syndrome de la fin de soirée où, avec l’abus d’alcool, même un cochon avec du rouge à lèvre et une jupe blanche semble aussi séduisant que Marylin Monroe dans 7 ans de réflexion.
Sauf que nous en sommes à 7 ans de manipulation des marchés de taux… et pour l’investisseur sensé que vous êtes, cela demande effectivement… réflexion.