En grande difficulté depuis mardi et l’effondrement d’une partie du pont Morandi, qui au dernier pointage a fait 39 victimes (de dix à vingt personnes sont par ailleurs toujours portées disparues), le holding Atlantia (IT0003506190-ATL), propriétaire de la société autoroutière Autostrade, retrouve quelques couleurs ce vendredi à la Bourse de Milan. Après avoir décroché de près de 22% hier, le titre s’adjuge ainsi 3,2% à la mi-séance.
L’horizon d’Autostrade s’est nettement assombri vu l’ampleur de la tragédie, qui suscite d’intenses polémiques et a généré une véritable psychose quant à l’état général du réseau routier italien. Déterminée à frapper fort, la coalition gouvernementale a rapidement fait d’elle la principale responsable du drame de Gênes et pris une décision forte : la révocation de la concession accordée jusqu’en 2038 à la filiale d’Atlantia pour ce tronçon.
Sanction exemplaire et pleinement justifiée pour nombre d’Italiens, mesure démagogique prise dans l’émotion du moment et destinée à faire oublier l’opposition sectaire du Mouvement 5 Etoiles à tous les grands travaux pour les adversaires de la nouvelle administration, cette révocation pourrait toutefois se révéler illégale. Intervenue avant même les conclusions de l’enquête pénale, elle court-circuite en effet la procédure en vigueur dans la convention italienne des travaux publics, laquelle stipule qu’« en cas de non-exécution de ses obligations, le concessionnaire doit d’abord recevoir un rappel de l’État lui fixant un délai de 90 jours pour se justifier ».
Rien de tel ici donc, c’est pourquoi l’État pourrait, si la justice devait estimer abusive la rupture de la concession, s’acquitter d’une amende de 15 à 20 Mds€. Une perspective qui ne semble pas inquiéter le gouvernement, qui outre la mise en œuvre prochaine d’un plan national de contrôle extraordinaire de toutes les infrastructures existantes depuis 1960 a diligenté une enquête sur Autostrade et lui a donné 15 jours pour apporter la preuve qu’elle s’est conformée à ses obligations contractuelles.
Autostrade ne tend pas l’autre joue
Prise sous un feu nourri de critiques, la société autoroutière avait pourtant soumis en 2009 un projet de bretelle pour décharger le pont Morandi, sur lequel passait chaque année plus de 25 millions de véhicules, dont de nombreux convois exceptionnels. Voulu par la municipalité, le président de la Ligurie et le patronat local, celui-ci n’a toutefois jamais vu le jour en raison de l’hostilité de riverains et du Mouvement 5 Etoiles, parti de l’actuel ministre des Transports Luigi Di Maio et pour qui l’hypothèse d’un effondrement du pont Morandi relevait de la « fable ».
Aussi embarrassé soit-il par les conséquences de la rigidité passée de sa formation, ce même Luigi Di Maio n’y est pas allé avec le dos de la cuillère, accusant frontalement Benetton, qui contrôle Atlantia, d’avoir payé le gouvernement de l’époque pour qu’Autostrade remporte ce marché. Dans le même registre, son collègue en charge des Infrastructures Danilo Toninelli a reproché à la société autoroutière de « payer sa concession à des prix monstrueusement bas sans avoir fait la maintenance nécessaire », tout en appelant ses dirigeants à démissionner.
Acculée, la société autoroutière, qui pour sa défense dit avoir investi 2,1 Mds€ au cours des cinq dernières années dans la maintenance, la sécurité et la viabilité des 3 020 kilomètres de réseau dont elle a la charge en Italie, tient un discours qui n’a pas varié d’un iota depuis la catastrophe.
« Rien n’indiquait que les structures portantes du viaduc pouvaient céder », soutient-elle. Une thèse que d’aucuns jugent néanmoins contradictoire avec les travaux de consolidations et de remplacement des barrières de sécurité engagés au printemps, et plus encore avec sa volonté de remplacer les entretoises en béton servant à maintenir le pylône qui s’est effondré.
Dans ce contexte, et considérant la fragilité désormais connue de tous du pont Morandi, désormais voué à la destruction totale, ce qui aura des conséquences aussi importantes qu’inquantifiables pour la ville de Gênes, la fatalité n’est pas de mise pour des millions d’Italiens. Tel est également l’avis de Francesco Cozzi, le procureur général de Gênes, selon lequel le drame de mardi relève d’« une erreur humaine ».
Celle-ci est d’abord – voire exclusivement – le fait d’Autostrade aux yeux du gouvernement, qui pourrait lui infliger une amende allant jusqu’à 150 M€.
Pas sûr toutefois que la vive et légitime colère transalpine se focalise uniquement sur la filiale d’Atlantia. Dans cette triste affaire, dans ce cataclysme qui aurait pu et dû être évité, l’attitude de la coalition gouvernementale sera aussi scrutée de près. Ministre de l’Intérieur pris en photo tout sourire en Sicile le soir même du drame et objet depuis d’un afflux de commentaires au vitriol, Matteo Salvini a déjà pu s’en apercevoir.