Deux jours après, l’Italie est toujours groggy. Le pays commence à panser ses plaies, mais le temps du deuil est déjà révolu. Il a rapidement laissé place aux polémiques, inévitables dans pareilles circonstances, à la colère et au déliement des langues.
L’effondrement d’une partie du pont Morandi, viaduc trop vite caduc, construit à l’époque du béton tout-puissant, apparaît désormais comme une catastrophe inéluctable. Entre défauts originels de conception, explosion du trafic routier (il a été multiplié par quatre en l’espace de trente ans), neutralisation des projets alternatifs et, le jour J, des conditions météorologiques particulièrement hostiles, toutes les conditions étaient finalement réunies pour qu’il finisse par s’écrouler en faisant plusieurs dizaines de victimes.
Désormais au pouvoir, le Mouvement 5 Etoiles n’en mène pas large étant donné son opposition idéologique et résolue à tous les grands projets infrastructurels, systématiquement jugés facultatifs et trop coûteux en cette période de vaches maigres qui requiert de se serrer la ceinture. La remarque vaut aussi pour Autostrade, la société italienne des autoroutes, que détient le holding Atlantia (lui-même contrôlé par la célèbre famille Benetton) (IT0003506190-ATL), et qui n’a convaincu ni l’opinion, ni la classe politique en se réfugiant derrière la fatalité.
Déjà malmenée avant-hier – elle avait clôturé en baisse de quelque 5% après avoir perdu plus de 10% en séance et avoir fait l’objet d’une suspension de cotation -, l’action de l’inventeur du système de péage sans arrêt Telepass (et qui a aussi racheté en mars dernier l’exploitant d’autoroutes espagnol Albertis aux côtés d’ACS, une opération de plus de 18 Mds€) dévisse de plus de 25% ce jeudi en milieu de matinée dans des volumes particulièrement denses (déjà plus de 9,5 millions de titres échangés, contre 715 356 au terme de la séance de lundi). Des critiques et des interrogations de fond surpassant largement les considérations techniques sur le pont Morandi se sont logiquement faites jour, et Autostrade vient de voir la concession autoroutière qui lui était originellement accordée jusqu’en 2038 révoquée par le président du Conseil Giuseppe Conte. La première sanction d’une longue série ?
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Un réseau routier vieillissant et insuffisamment entretenu
Toujours est-il que la filiale d’Atlantia, tenue pour principale responsable du drame par le gouvernement, n’a pas donné suite à un rapport technique rédigé début 2009 qui mettait en avant « une intense dégradation des structures du viaduc, soumises à d’immenses sollicitations ». Et si le groupe a sans surprise catégoriquement récusé l’accusation de négligence, les travaux qu’il dit avoir entrepris en mai dernier se bornaient à des consolidations et au remplacement des barrières de sécurité. Très insuffisant pour une structure aussi vétuste et vulnérable…
Alors que les Italiens dans leur ensemble réclament réponses et mesures de rétorsion, la polémique rejaillit inéluctablement sur Atlantia, mastodonte qui a dégagé 1 Md€ de profits l’an passé, gère à lui seul plus de la moitié du réseau autoroutier italien et dont l’image est aujourd’hui très écornée. Sa gestion des « affaires courantes » n’a jamais été aussi contestée et, d’une façon plus générale, le peu d’empressement des pouvoirs publics pour l’entretien et la rénovation du réseau routier dans sa globalité fait maintenant franchement désordre.
Alors que onze ponts, en incluant le pont Morandi, se sont effondrés en Italie en seulement cinq ans et que des centaines d’infrastructures d’âge et de nature comparables donnent des signes de fatigue rien qu’en Ligurie, le pays a compris qu’il ne pouvait plus faire l’économie d’une cure de jouvence à l’échelle nationale. Au vu de la peur unanime d’une nouvelle tragédie, légitimée par l’insigne faiblesse des investissements pour l’entretien, la modernisation et la sécurité du réseau (NDLR : à en croire nos confrères des Echos, l’Agence italienne de gestion des autoroutes (Anas) n’a dépensé que 180 M€ par an entre 2007 et 2013 à cette fin, une somme dérisoire au regard des revenus engrangés), une réaction étatique vigoureuse était attendue.
Désireux d’afficher sa détermination, Giuseppe Conte vient donc d’annoncer le déploiement au plus tôt d’un « plan de contrôle extraordinaire de toutes les infrastructures existantes depuis 1960 ». Presque le minimum au regard de l’urgence de la situation et du caractère vital des enjeux…