Les marchés et les experts ont encore mal interprété la Fed. Je suis toujours incrédule quand je vois cela arriver. Comment peut-on consacrer autant de temps, d’efforts et de talent à une tâche aussi simple tout en obtenant le mauvais résultat ?
La réponse est que les soi-disant experts utilisent un mauvais modèle. Comme je l’ai dit à maintes reprises, si vous avez un mauvais modèle, vous obtiendrez un mauvais résultat à chaque fois. Cela s’est produit de nouveau après la réunion du FOMC et la conférence de presse de Janet Yellen, le 20 septembre.
Les experts étaient presque unanimes pour dire que la Fed avait envoyé un message hawkish et qu’une hausse des taux en décembre était « toujours sur la table ». Car même si une hausse des taux n’a pas lieu en décembre, les experts sont d’avis que la Fed a toujours la volonté de relever les taux à un rythme soutenu.
Voici comment Capital Economics, un cabinet de recherche très réputé, l’a formulé :
« La décision de la Fed de maintenir les taux d’intérêt inchangés à 1,0-1,25% aujourd’hui, ainsi que sa décision anticipée de longue date d’annoncer formellement le début du processus de normalisation de son bilan le mois prochain, n’ont pas été surprenantes. La nouvelle la plus importante, c’est qu’en dépit de la faiblesse de l’inflation sous-jacente au cours des derniers mois, les fonctionnaires de la Fed continuent de prévoir une hausse supplémentaire de 25 points de base d’ici la fin de l’année.
En effet, bien que les autorités monétaires aient abaissé leurs projections pour l’inflation cette année et l’an prochain, de sorte qu’elle ne reviendra pas à la cible de 2% avant 2019, elles continuent de prévoir une hausse des taux d’intérêt cette année et trois l’an prochain. »
Capital Economics n’était pas seul. Le point de vue exprimé dans cet extrait a également été repris sur CNBC, The Wall Street Journal, CNN et tous les grands médias d’information.
Les marchés ont compris le message. Le dollar s’est apprécié, l’euro a baissé, l’or s’est retourné à la baisse et les taux d’intérêt ont rebondi. C’est logiquement ce à quoi on pouvait s’attendre… si seulement la Fed donnait réellement des signaux hawkish basés sur une croissance modérée continue !
Mais il y a une chose qui cloche dans cette histoire : tout.
La Fed n’augmentera pas les taux en décembre, l’économie n’est pas vigoureuse. La Fed risque de ne pas relever les taux avant courant 2018 – et ce n’est même pas sûr qu’elle le fasse.
Alors, comment et pourquoi est-ce que j’affirme que les experts se trompent ? que leurs modèles ne fonctionnent pas ?
La première erreur est de prêter attention aux projections de la Fed concernant la croissance et les taux d’intérêt. Il s’agit des fameux « points » (les dot.plot) ; parce qu’ils sont présentés sous forme de points sur un graphique indiquant les dates et les taux anticipés par chaque membre. Tous les membres du Conseil des Gouverneurs et les Présidents des Feds régionales sont invités à fournir leurs propres projections de points.
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Les médias se focalisent sur ces points, calculent une moyenne des points, puis traitent la moyenne comme un consensus de l’opinion de la Fed. Ils font une projection de la politique de la Fed sur la base de ce consensus. Et les marchés réagissent à ce reporting et à ces estimations.
Voilà le problème ! Les dot.plot sont une blague. Personne au siège de la Fed à Washington ne les prend au sérieux. Le lancement de ces prévisions par chaque membre était une tentative de transparence de Ben Bernanke et la Fed ne peut désormais pas s’en débarrasser. Les médias les adorent. Mais c’est une blague.
Il n’y a que trois membres du Conseil des Gouverneurs qui comptent : Janet Yellen, Stan Fischer et Lael Brainard. Il n’y a qu’un seul président de Fed régionale qui compte : Bill Dudley, de New York. Yellen, Fischer, Brainard et Dudley sont les Big Four. Ils sont les seuls qui valent la peine d’être écoutés. Ils décident. Ils n’aiment pas les dot.plot. Tout le reste est du bruit.
Il est vrai que Stanley Fischer quittera bientôt le conseil d’administration de la Fed, mais la Maison-Blanche n’a pas été pressée de pourvoir les postes vacants jusqu’à présent. Les Big Four seront les Big Three (Yellen, Dudley et Brainard) lorsque la réunion de décembre se déroulera et que l’analyse sera la même.
Alors voici le modèle que les Big Four utilisent :
- augmenter les taux de 0,25% en mars, juin, septembre et décembre de chaque année jusqu’à ce que les taux atteignent 3,0% à la fin de 2019 ;
- faire une pause sur les hausses de taux si l’un des trois facteurs suivants s’applique : baisse désordonnée du prix des actifs, croissance de l’emploi inférieure à 75 000 par mois ou désinflation persistante ;
- mettre la normalisation du bilan sur le mode « pilote automatique » et le laisser fonctionner « en arrière-plan » ; ne pas l’utiliser comme un outil de politique monétaire.
C’est simple.
▶ Que nous dit ce modèle au sujet d’une hausse des taux en décembre ?
La désinflation a été forte et persistante. La principale mesure de la Fed pour cette métrique (l’indice des prix à la consommation et de l’énergie en glissement annuel) est passée de 1,9% en janvier à 1,4% en juillet. La mois d’août sera publiée le 29 septembre. Cette série de mesures de l’inflation va fortement dans la mauvaise direction du point de vue de la Fed. C’est ce qui a causé la pause de septembre (que nous avions anticipé dès mars dernier).
Après sept mois de déclin de l’inflation, un mois d’augmentation, s’il arrive, ne suffira pas pour que la Fed mette fin à la pause. Il faudrait au moins deux mois d’augmentation inflationniste pour que la Fed change d’avis.
Une hausse de l’inflation sur août est peu probable, vu l’impact des ouragans Harvey et Irma. Ces effets peuvent être temporaires, mais ils surviennent exactement au moment où la Réserve Fédérale cherchait à entrevoir un renversement de l’inflation de base. Cela ne se produira pas. La pause va continuer.
▶ Comment je le sais ?
Premièrement, la Fed explique tout ceci à qui veut bien l’entendre. Mais les médias n’écoutent pas, ils sont trop occupés à regarder les dot.plot. Deuxièmement, cela m’a aussi été expliqué en détail par l’initié ultime de la Fed. Je l’appelle « The Man Without a Face » (l’homme sans visage).
Les marchés finiront par s’en rendre compte. A l’heure actuelle, les marchés évaluent à 70% de chances une hausse des taux en décembre (c’est ce que nous disent les contrats à terme du CME sur les Fed Funds). Vous verrez : ce taux tombera sous la barre des 20% d’ici le 13 décembre, date à laquelle le FOMC se réunira de nouveau pour une conférence de presse. (Il y a une autre réunion le 1er novembre, mais personne ne s’attend à ce qu’il y ait des changements de politique monétaire à cette date.)
Au fur et à mesure que les probabilités du marché rattraperont la réalité, le dollar baissera, l’euro et l’or se raffermiront de nouveau et les taux d’intérêt reprendront leur longue chute.
Maintenant que les marchés ont fait leurs paris, vous pouvez initier les vôtres avec de bons points d’entrée et un ratio potentiel/risque asymétrique en votre faveur.
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