Les traders sont des manchots commes les autres
Aujourd’hui, vu la période, on s’intéresse aux traditionnels sondages de fin d’année réalisés auprès des principaux gérants de fonds de la planète. Ces enquêtes, qui portent sur leurs choix sur leurs placements durant les 12 prochains mois, restent une formidable machine à prédire… le présent.
Pour se faire une idée de la psychologie régnant dans ce milieu des gestionnaires de fonds, il faut bien comprendre que le pire scénario, pour un gérant pesant plusieurs milliards d’euros ou de dollars, c’est de sous-performer le benchmark (la moyenne des performances des autres gérants).
En un sens, on peut comparer cet obsession pour la moyenne aux grands rassemblements de manchots sur le continent Antarctique (en terre Adélie). Le jeu consiste à se glisser vers le centre du groupe, lequel forme un gigantesque cercle (en rotation) de plusieurs centaines d’individus, tassés les uns contre les autres pour se protéger du froid polaire.
Ceux qui évoluent provisoirement en périphérie et qui prennent tout le blizzard n’ont de cesse que de tenter de regagner l’intérieur pour se réchauffer. Rester plus de quelques minutes en périphérie et c’est la congélation assurée ! Un manchot franc-tireur est un manchot mort !
Si on file cette métaphore, on peut affirmer que le plus grand sondage auprès du troupeau a été réalisé par Bank of America Merrill Lynch, avec un panel, en or massif : quelque 175 professionnels pesant plusieurs Mds$ et même jusqu’à plusieurs dizaines de Mds$.
Les résultats de ces sondages sont les suivants : vu que les banques centrales ne leur laissent pas le choix, ces fameux fonds sont fortement surinvestis en actions (au-delà de la moyenne haute en cette fin 2015) et fortement sous-investis en obligations (qui deviennent de moins en moins liquides, et, quand on est « très gros », c’est un facteur déterminant).
Ces mêmes fonds sont archi sous-pondérés en valeurs de type « produits de base » et « matières premières » avec un consensus écrasant concernant la poursuite de la chute des prix du pétrole, des divers minerais à usage industriel, et donc, des pays émergents les exportant et dont le PIB va continuer de dégringoler.
Les Brics désormais délaissés par les marchés
Ainsi, parmi les pays à éviter, il y a justement les 5 stars des années 2005/2010, les fameuses « BRICS » : Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud (« S » pour South Africa).
Les gérants sous-pondèrent également Londres et Wall Street et, comme il faut bien mettre l’argent quelque part, ils surpondèrent l’Europe (cela fait juste 12 mois qu’il en est ainsi, souvenez-vous de « l’alignement des planètes » et du matraquage de ce concept de décembre 2014 à mars 2015) avec une prédilection pour les valeurs bancaires « tellement en retard », et les entreprises qui bénéficieront d’un surcroît de dépenses discrétionnaires des consommateurs.
Cependant, on peut questionner ces promesses de rebond des dépenses européennes. Car, sans coup de pouce sur les salaires, avec des embauches à des tarifs toujours plus faibles pour les nouveaux entrants et des pensions de retraite toujours plus maigres – les Espagnols, les Grecs, les Portugais et les Italiens en savent quelque chose – d’où la hausse des ventes de détail en Europe va-t-elle surgir ?
À vrai dire, on se fiche de la réponse : c’est l’idée du moment et tout le monde la reprend à la volée. Ce pourquoi le compartiment de la distribution s’est mis à grimper, tout le monde se jette dessus. Eh oui, car celui qui réfléchit 2 minutes sur le bien-fondé de la stratégie prend 2 minutes de retard sur ses collègues, s’il réfléchit 2 jours, cela devient carrément irrattrapable.
Vers un QE 4 de la FED ?
Mais ne soyons pas si mauvaise-langue : il y a bien un domaine où chacun peut suivre son voisin aveuglément, et ce sans aucunement risquer de se tromper. C’est celui concernant la stratégie poursuivie par la banque centrale américaine : elle n’a jamais été aussi visible et prévisible que ce mercredi soir.
Jugez plutôt : Janet Yellen n’a pas prononcé un seul mot, ni employé une seule formule qui ne lui ait été comme dictée par Wall Street. C’en était pitoyable à force de volonté servile, de complaisance – dans le moindre détail – au « marché ».
Si jamais Wall Street vient à s’inquiéter de la surévaluation du dollar (si l’inflation est trop basse et si les salaires restent en stagnation), la FED a déjà prévenu qu’elle agira en conséquence.
Néanmoins, puisque défaire ce qu’elle vient de faire n’aurait pas grand effet, elle n’a qu’à laisser le taux directeur là où il est… et rendre l’argent, non pas moins cher, mais plus abondant.
Voilà que s’esquisse déjà un « QE4 », non ?
Dans ces conditions, il apparait téméraire de miser sur une parité euro/dollar d’ici le prochain tour de vis monétaire, surtout s’il ne se produit jamais.
Et si le billet vert rechute vers 1,20/€ au lieu d’aller tester les 1/1, il serait étonnant que le CAC40 teste à nouveau les 5 000 pts de sitôt.
Ainsi, à la réflexion, il semble bien que le large consensus en faveur des actions de la zone euro est de celui qu’il vaut mieux suivre avec un air entendu… tout en suivant d’autres inspirations.