Deux membres de la Fed, pas classifiés « faucons », Eric Rosengren et Daniel Tarullo se sont prononcés pour une hausse de taux sans trop tarder (et pourquoi pas dès le 21 septembre ?) parce que l’objectif des 2% d’inflation est quasiment atteint.
Souvenez-vous de l’aphorisme de Jefferey Lacker (Fed de Richmond) il y a 8 jours : la Fed « ne doit pas prendre le risque de piloter sa politique monétaire depuis le siège arrière ».
Une stratégie de communication de la Fed parfaitement orchestrée
Cela fait donc trois déclarations consécutives allant dans le même sens : il s’agit donc d’une stratégie de communication parfaitement orchestrée.
La question qu’il faut se poser est donc : S’agit-il d’une réelle mise en garde adressée à Wall Street avant un tour de vis monétaire, dont le principe est déjà acquis, en dépit de nombreux voyants économiques qui clignotent au rouge, à l’intérieur comme à l’extérieur des USA ?
Ou s’agit-il du sempiternel ballon d’essai destiné à prendre la température des marchés, lequel débouchera sur un non moins traditionnel rétropédalage et le retour à une communication colombe si Wall Street pousse des cris de douleur (par anticipation) ?
Et Wall Street a crié très fort le vendredi 9 septembre : les indices US ont subi leura plus lourde correction depuis le 24 juin dernier.
Mais cette fois-ci, des centaines de milliards de capitalisation sont partis en fumée sans aucun catalyseur « matériel » comme un Brexit ou une dévaluation du yuan. De fait, aucune statistique américaine ne fut publiée vendredi qui ait pu servir de catalyseur à la baisse.
Un VIX qui grimpe
Le VIX s’est envolé de 40% en l’espace de 6 heures, du jamais vu depuis le 24 juin, ce qui le propulsa vers 17,50 (son pire score de clôture depuis le 28 juin dernier).
Le Dow Jones et le S&P500 ont effacé en une seule séance 10 semaines de hausse, pour retomber sur les niveaux du 10 juillet dernier.
Personne n’avait anticipé vendredi que Wall Street mettrait aussi brutalement un terme à une série sans précédent de 43 séances sans variation supérieure à 0,7% en valeur absolue, dont 41 se soldèrent par des scores inférieures à 0,5%.
La nervosité des opérateurs s’était manifestée dès jeudi dernier, avec une nette dégradation des marchés obligataires, revenus tester des planchers court terme (1,60% pour les T-Bonds, -0,05% pour les Bunds).
Pas de raison de s’en formaliser, le scénario s’est répété inlassablement durant 9 semaines.
Une seule stratégie s’était avérée pertinente depuis le Brexit : payer tous les creux sur les marchés de taux, toutes les micro-corrections sur les actions.
Mais les plus gros enjeux financiers au quotidien se jouent sur le front du marché du crédit, où les encours croissent de façon exponentielle.
Et les bons du Trésor à 30 ans ont enregistré en fin de semaine dernière la vague de liquidation la plus massive sur 48H depuis plus d’un an (les T-Bonds avait au contraire fortement progressé au lendemain du Brexit, seules les actions avaient subi la fureur des éléments).
Les marchés obligataires seraient simplement en train de s’ajuster à la perspective d’une hausse de 25 points des taux directeurs US, sachant que la BCE a promis jeudi dernier que rien ne bougerait en Europe avant au minimum 18 mois (l’inflation et la croissance devant converger à 1,6% seulement en 2018, et l’inflation tendre vers 2% en 2019).
Ce sera au pire indolore pour les emprunteurs européens, et les émetteurs les mieux notés (Sanofi, Henkel, Air Liquide, etc.) continueront de se procurer de la trésorerie à taux négatifs.
Mais l’argent ne coûte plus rien – c’est bien entendu depuis 7 ans – la masse de capitaux « pas chers » à rembourser connait une inflation galopante et totalement disproportionnée par rapport à la croissance des revenus annuels des entreprises ou des états emprunteurs.
Car les PIB ont tendance à stagner ou ralentir depuis 3 ans (notamment au Japon et en Chine), et les « bénéfices réels » (profits avant impôts, dépréciation et amortissement, connu sous le nom d’Ebitda) se contractent depuis 2 ans .
Mais les banques centrales épongent globalement 2 500 Mds$ d’actifs (majoritairement des obligations d’état ou d’entreprise) chaque année (200Mds$ par mois), ce qui contraint les compagnies d’assurances et les fonds de retraite à puiser dans le « gisement » que la Fed, BCE, BoJ, BoE, BNS leur laissent.
Les entreprises ont bien compris que les institutionnels n’ont plus d’autre choix que de payer n’importe quoi à n’importe quel prix: alors elles émettent des emprunts à un rythme de plus en plus effreiné, l’essentiel de cette collecte de capitaux servant à racheter leurs propres titres (pour l’équivalent de 1 000 Mds$ en 2015) ou a verser des dividendes supérieurs aux bénéfices distribuables.
L’année 2016 est partie sur des bases stratosphériques : le gonflement des émissions atteignait +30% en rythme annuel à fin août, la barre des 1 000$ serait franchie dans 15 jours et les entreprises pourraient avoir levé 1 300 Mds$ d’ici le 31 décembre prochain.
Après une hausse voisine de +10% entre 2009 et 2014, le rythme des émissions corporate s’est accéléré à +16% en 2015… et il vient de doubler brutalement en 2016.
La progression de l’encours global devient explonentiel (un mix d’explosif et exponentiel) et ce n’est pas un phénomène isolé.
L’encours des dettes étudiantes, du crédit revolving (pour boucler les fins de mois difficiles), des emprunts automobiles suit une pente à peu près comparable : à chaque fois, nous partons d’une masse dépassant le trillion (trilliard in english), soit 1 000 Mds$.
Et dans tous les cas, il s’agit de dettes titrisées dont le rendement tend inexorablement vers zéro quand bien même le risque de non remboursement tend vers l’infini. Et la magie du verbe – et de la planche à billet – des banques centrales consiste à convaincre les marchés que ce risque ne se matérialisera pas… puisqu’au besoin, elles rachèteront tout.
Les investisseurs peuvent donc acheter tout, n’importe quoi, à n’importe quel prix… puisque ce prix est forcément inférieur à celui qui sera fixé par les banques centrales dans 6 mois, 1 an, 5 ans, etc.
Mais si soudain, la Fed venait à rompre -pour des raisons qui nous échappent (forcément)- la promesse implicite d’orchestrer une hausse éternelle des T-Bonds, pour quelle raisons les investisseurs conserveraient-ils des actifs archi-surpayés et qui n’offrent plus aucune perspective de gain ?
Mais pourquoi la Fed prendrait-elle le risque de provoquer le chaos sur les marchés à 6 semaines de présidentielles américaines ?
Pour donner raison à Donald Trump qui accuse Janet Yellen et ses acolytes d’irresponsabilité ?
Si tel est le cas, nous pouvons comprendre qu’Hillary Clinton fasse un malaise en pensant aux conséquences : il y a de quoi tousser, avoir la gorge sèche, enchaîner coups de chaud et sueurs froides… et attraper une pneumonie, au sens propre comme au sens figuré.
Pour Wall Street, cela pourrait se traduire par un soudain arrêt des fonctions respiratoires.
Comment y échapper ?
Les marchés restent convaincus qu’il suffit à Janet Yellen de repasser en mode « colombe »… et aux communicants de crise d’Hillary Clinton de continuer à prendre les électeurs pour des buses