Dernier volet d’une mini-série d’articles consacrés aux algorithmes. Fin janvier, j’avais en effet rédigé deux articles sur le sujet.
Nos meilleurs ennemis les algos : spoofing, layering, front running et black pools
Dans ce premier article, je vous montrais que les algos faisaient, étaient le marché :
« Ils représentent au moins 70 à 80% des transactions aux États-Unis. Cela veut dire que ce ne sont pas des êtres humains qui animent une séance de Bourse, mais bien des programmes mathématiques ».
Autrement dit, ils font la loi dans les carnets d’ordres… et bien entendu, ils ne sont pas contrôlés par des associations humanitaires mais par les principales grandes banques d’investissements et autres Hedge Funds.
Dans mon deuxième article, je vous montrais comment les algos avaient travaillé le CAC 40 et Nexans : d’abord, enfumage et camouflage, préparation du terrain, et passage à l’attaque. J’espère vous avoir appris à détecter leur signature, la trace qu’ils laissent dans la manipulation des prix. Car comme je vous le disais, en les reconnaissant, on peut parfaitement les anticiper et les utiliser pour trader : « Donc repérer le sillage d’un algo peut être très utile pour se positionner. Comme pour les Banques centrales : on ne les contredit pas, mais on leur colle à la roue ! ».
Donc, aujourd’hui, nous allons voir les principaux programmes d’algos haute fréquence (HFT) pour comprendre, selon leur spécificité, comment ils s’y prennent pour déséquilibrer les marchés.
Le sujet mériterait des heures de commentaires, d’explications et autres démonstrations donc là, je vais aller à l’essentiel.
Programme d’algos : le Spoofing
Grosso modo, de gros ordres sont placés dans le carnet d’ordres – soit du côté acheteur, soit du côté vendeur – afin de créer une illusion de pression acheteuse ou vendeuse. Objectif : attirer le maximum d’opérateurs (humains ou robots), les enfumer en « faisant croire que »… et paf ! Ces ordres sont annulés ou changent de côté dans le carnet d’ordres AVANT d’être exécutés. Retournement brutal de situation et plumage du maximum de monde.
Je vais vous donner un exemple, vécu personnellement au début du débarquement en masse des algos sur les marchés (en 2008/2009).
Le CAC (ou plutôt le Future CAC, le FCE) arrivait sur une grosse zone de support. Le carnet d’ordres montrait de nombreuses positions acheteuses, et pas grand monde du côté vendeur. Surtout, je remarquais quelques ordres gigantesques (du style un seul ordre de 150 contrats sur une ligne) étaient à l’achat quelques points juste en dessous de ce support. Evidemment, je me suis dit « chouette, y’a du lourd pour défendre le support, allez hop, je prends position pour jouer le rebond sur le support ».
Pas de bol : au moment où la (les) grosses lignes acheteuses allaient être frappées, les 150 contrats sur lesquels je comptais pour défendre le support passent du côté VENDEUR !
Plus rien du côté acheteur… Le support casse, le CAC plonge… Les algos ramassent.
C’est vilain.
En ce moment, la même stratégie est appliquée sur le CAC mais à la hausse.
Programme d’algos : le Layering (layer = niveau / couche)
Un peu dans la même veine de son copain Spoofing. La différence c’est que l’algo qui travaille en Layering veut effectivement acheter ou vendre un actif (alors que les ordres d’un algo en spoofing ne sont quasiment jamais exécutés).
Voilà le tableau : une firme, une grande banque d’investissement, veut acheter des actions d’une société cotée – évidemment à un bon prix. Donc, les algos remplissent le carnet d’ordres avec d’importantes positions vendeuses, étagées, proches des cours actuels.
Exemple : La société XYZ cote 100€. La firme veut (vraiment !) acheter des actions XYZ va lancer ses algos et passer des ordres de vente très conséquents à 100,1€, 100,2€, 100,3€, 100,4€. C’est-à-dire par strates et à des cours très rapprochés. Le carnet d’ordre est maintenant massivement vendeur.
Les petites mains ou d’autres algos commencent alors à vendre. Le prix baisse. Au fur et à mesure que le prix baisse, la série d’ordres en layering se décale pour pousser les prix à la baisse et… l’algo achète discrètement ce que les petites mains lâchent progressivement sous la pression du carnet d’ordres vendeur et des prix en baisse. En petite quantité. Avec des ordres masqués. Mais régulièrement.
Et quand la firme a finalement réussi à acheter…. on renverse la vapeur pour que les cours remontent.
C’est très vilain.
Tenez, voici un exemple de la manière dont les programmes de layering poussent les prix à la hausse ou à la baisse. Casino, en Unité de temps 2mn (chaque bougie fait 2mn). Ça va très vite, mais regardez ce que donne un algo de layering (flèches rouges).
Les prix sont contrôlés de façon RECTILIGNE (rien d’humain là-dedans)… Les variations de prix sont extrêmement rapides et d’environ 5% dans les deux sens. Le tout bien appuyé par des gaps quand on change de sens pour piéger le maximum de monde….
Le programme de HFT : le Front running
Alors celui-ci est très, très, vilain.
Ce programme est utilisé par les brokers ou firmes de Trading Haute fréquence (HFT).
Grosso modo, imaginez que vous, simple être humain doté d’un temps de réaction et de réflexion infiniment lent par rapport aux algos, vous vous préparez à acheter des actions de la société XYZ à 100$. Vous préparez un ticket d’ordre pour passer un ordre «au marché». C’est à dire, vous achetez au meilleur vendeur dans le carnet d’ordres.
Imaginons que le meilleur ordre de vente soit à 100,01$. Hop, petit clic de mulot pour passer votre ordre et ça part dans les tuyaux. Sauf que le vendeur à 100,01 $ est un algo. Il «voit» votre ordre arriver et annule sa position vendeuse à 100,01 $ AVANT que votre ordre ne frappe la plateforme d’échange (le carnet d’ordres si vous voulez) et le DEPLACE instantanément à 100,02$. Du coup, vous, avec votre ordre au marché, n’achetez pas à 100,01$ mais à 100,02$.
Et ce, des millions de fois par jour. Les algos gagnent à tous les coups et ont à disposition une pompe à fric version Star Trek : les petites mains, pauvres humanoïdes si lents à se déplacer dans l’espace-temps – et les autres algos moins rapides.
Comment est-ce possible ?
Il y a deux écoles :
A / Soit vous êtes un broker et, par définition, vous savez quand un de vos clients s’apprête à acheter (ou vendre) une position. Sa transaction passe par vos systèmes. Donc il vous est facile de retenir son ordre une micronano seconde afin d’acheter AVANT lui, ou de faire décaler les prix pour lui faire acheter un tout petit peu plus cher…
B / Soit vous êtes une firme de HFT et avez un accès privilégié à une plateforme d’échange : vous avez le droit de voir quels ordres arrivent. Vous les «interceptez» avant qu’ils ne frappent la plateforme et là :
Soit retour à la configuration A,
Soit les ordres du carnet d’ordres sont les vôtres. Autrement dit l’ordre d’achat à 100,01 $ était le vôtre. Vous l’annulez, et le replacez instantanément à 100,02 $… et ce, des millions de fois par jour.
Comment ça « non ! ce n’est pas possible ! » ?
Eh bien si. C’est tous les jours ; partout ; et c’est pour cela que des firmes HFT se targuent de séries de centaines de journées de suite sans perte.
Evidemment, ces pratiques sont illégales. Mais comment épingler ces pirates des marchés – qui génèrent des millions de transactions par jour à la vitesse de la nanoseconde ? La quantité d’informations à traiter est énorme et les algos exploitent les failles du système en initiant leurs transactions à partir de plusieurs plateformes à la fois et surtout partir des «black pool».
Ah, Les black pools ? Parlons-en un peu
Ce sont des plateformes de transaction privées qui ne divulguent aucune information sur les transactions qui y sont passées. Autrement dit, vous ne saurez jamais qui a fait quoi à qui et comment sur ces plateformes. Or les «black pools», c’est au minimum 40% des transactions sur les marchés.
Bon. D’un autre côté, la SEC et le FBI sont bien au courant de ces pratiques. Les procès sont légion. Mais comme d’habitude, peu aboutissent et quand c’est le cas, les amendes sont ridicules au regard des gains engrangés.
Et puis, si ça chauffe un peu trop, vous pouvez toujours vous acheter des alliés de haut vol qui ont des relations adéquates pour calmer le jeu. Eh oui.
Où travaille Ben Bernanke, depuis l’année dernière ? Vous dites ? Chez Citadel ? L’un des plus gros hedge funds HFT de la planète ?
Très bien. OK. Une coïncidence sans doute…
Allez, bons trades !
Gilles