Recep Tayyip Erdoğan n’a définitivement peur de rien, et surtout pas du ridicule. Après avoir (di)lapidé l’héritage kemaliste ; après s’être appuyé sur Daech pour tenter de mettre la minorité kurde à quia ; après avoir organisé des purges dont Staline n’aurait pas eu à rougir, à la suite d’une tentative de coup d’État qui a furieusement ressemblé à une de ces grossières manipulations dont raffolent les despotes en perte de vitesse (ou en mal de nouvelles prérogatives démocratiquement douteuses) ; le président turc, acculé, vient d’imputer la crise économique qui secoue son pays à un « complot politique international ».
La galéjade a fait suite à une autre, peut-être plus ridicule encore, quand il y a quelques jours, Recep Tayyip Erdoğan s’en était remis à… Allah pour surmonter la descente aux enfers de la livre turque, laquelle, déjà malmenée depuis plusieurs mois, a encore chuté de 24% vendredi dernier face au billet vert.
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Ce décrochage tient sa source dans la brutale montée des tensions entre Ankara et Washington, qui a commencé à s’émouvoir du sort du pasteur américain Andrew Brunson, actuellement jugé en Turquie pour « terrorisme » et « espionnage », placé fin juillet en résidence surveillée après un an et demi de détention et qui risque jusqu’à 35 ans d’emprisonnement. Un nouveau Midnight Express que Donald Trump ne digère pas, le président américain ayant annoncé via un tweet le doublement des tarifs douaniers sur l’acier et l’aluminium turcs à respectivement 20 et 50%.
De nombreux motifs de discorde
Une mesure choc qui fragilise encore un peu plus l’équilibre déjà fort précaire de la région. Alliés historiques, les États-Unis et la Turquie ne semblent décidément plus du tout sur la même longueur d’onde, avec des pierres d’achoppement de plus en plus nombreuses. À l’affaire « Brunson » s’ajoute en effet le refus américain d’extrader Fethullah Gülen, prédicateur turc soupçonné par Ankara d’être l’artisan du putsch manqué de juillet 2016, ainsi que le soutien des États-Unis tout aussi décrié par Recep Tayyip Erdoğan aux Unités de protection du peuple kurde (YPG), perçues par le président turc comme une émanation du PKK.
Deux autres pommes de discorde – à moins qu’il ne s’agisse de nœuds gordiens qui finiront par être tranchés, au prix de concessions auxquelles aucun des deux camps ne semble cependant enclin pour le moment – qui amènent elles aussi à se poser plusieurs questions de fond. La Turquie pourra-t-elle continuer à être membre de l’OTAN alors que l’Oncle Sam, le membre le plus puissant de son organisation, l’a plus que jamais dans le collimateur ? Actuellement utilisée comme centre des opérations contre ce qui reste de l’État islamique par l’US Air Force, la base d’Incirlik est-elle menacée en tant que telle ? Plus isolé que jamais, Recep Tayyip Erdoğan pourra-t-il encore compter sur le soutien, même relatif, d’une Union européenne qui, crise migratoire oblige, a jusqu’ici fermé les yeux sur bien des dérives en Turquie ? Sera-t-il tenté de se tourner vers la Russie, avec laquelle les relations avaient été houleuses durant l’été 2016 ?
Dans l’immédiat, le président turc entend « jouer » sur la fibre patriotique et a promis de nouvelles dispositions pour endiguer la chute de la devise nationale. Celles-ci seront pilotées par son gendre Berat Albayrak, à la tête d’un super-ministère des Finances, sorte de Premier ministre officieux et qui devra également tenter de contenir l’inflation ainsi que le creusement des déficits courants. Des défis colossaux et peut-être trop lourds à porter pour ces épaules que nombre d’observateurs jugent fort frêles.
Les investisseurs aussi semblent douter de la capacité du pouvoir à renverser une situation qui n’a, il est vrai, de cesse de se dégrader, comme en témoigne le recul de plus de 2% du BIST 100, le principal indice de la Bourse d’Istanbul. Pas sûr du tout que cette dernière a mangé son pain noir…
Turquie, États-Unis… diriger un pays devient une affaire de famille
1 commentaire
La politique économique de M Erdogan est ultra-libéral; question 1: existe-il plus libéral qu’ultra libéral?
La Turquie est l’usine de l’Europe, si « on » le rende malade qui risque de crever ?
L’article de M Duhamel est une belle exemple du « mutilez-vous !
Il aurait pu rajouter, depuis dix ans, la France monte, la Turquie descend.
Rien de neuf, nous gardons le cap