Il m’est rarement arrivé d’assister à un débat d’après séance sur BFM Business dans lequel les trois intervenants (deux en plateau et un au téléphone) faisaient étalage d’une telle « désabusitude ». Et ce quel que soit leur profil d’investisseur : un asset manager d’un grand groupe financier, un trader et un gérant d’une petite banque privée.
Comme des cafards autour d’un quignon de pain
Dix jours de portes de saloon (ou de CAC branché sur courant alternatif, pour reprendre l’expression de Gilles) dans un vide sidéral (en termes de volumes) pour déboucher sur une parfaite stagnation indicielle… Ça part dans tous les sens pour n’arriver nulle part. La période a manifestement usé les organismes et la résistance mentale… A tel point que les filtres sémantiques habituels se sont désagrégés au fil des séances pour devenir complètement poreux, voire inopérants. Les marchés qualifiés d’ordinaire de « compliqués » ou de « volatils » sont désormais considérés comme « épuisants » ou « rebutants ».
Pas de visibilité, pas de directionnel, pas de volume… et des algos toujours plus envahissants qui rendent les marchés abscons (voir notre série d’articles sur les algos: 1, 2 et 3)… Sans même parler du trading haute fréquence (High-frequency trading ou HFT) qui engendre des fluctuations de cours absurdes et qui polluent les échanges avec des kilotonnes de faux ordres.
« Le HFT apporte de la liquidité ! », nous dit-on. Foutaise ! Dès que la volatilité s’accroît, ces intervenants s’évaporent. Les algos et les produits dérivés ont transformé la Bourse en finance casino où la manipulation de cours n’est plus l’exception, mais la règle.
En ce qui concerne les nouveaux instruments à effet de levier (les turbos notamment) sensés permettre de tirer profit de n’importe quel scénario boursier, tout dépend de la liquidité assurée par l’émetteur. D’après le trader qui donnait par téléphone la réplique aux deux gérants en plateau sur BFM, les produits d’émetteurs, c’est un peu « comme les cafards qui viennent grignoter un quignon de pain quand tout est calme dans la cuisine… Mais si on donne un coup sur la table (s’il survient un coup de volat), ils disparaissent tous en un instant« .
Je trouve l’image des cafards assez crue mais s’il avait évoqué des coccinelles ou des scarabées dorés, ça fonctionnait, du coup, moins bien. Et, je préfère des intervenants qui parlent crûment plutôt que faussement.
Toutes les révélations et scoop du nouveau patron de la Banque de France
** J’ai suivi également, mercredi soir et toujours sur BFM, l’interview de François Villeroy de Galhau, piaffant d’impatience de connaître son diagnostic concernant l’inflation qui ne remonte pas, les effets pernicieux des taux négatifs et de savoir quand – et comment – la BCE envisageait de remiser ses outils « non conventionnels ». A des questions très précises sur ces sujets, notre nouveau patron de la Banque de France s’est livré à un numéro de prestidigitation oratoire qui consistait à délivrer un écran de fumée de non-réponses, à base de digressions sur la nécessaire coopération des Etats en matières de réformes, la nature du mandat de la BCE, les fantastiques succès obtenus ces dernières années sur la croissance grâce aux cataractes de liquidités qui inondent les banques (TLTRO, rachats d’actifs, etc.).
Mais puisqu’il y a tant d’argent gratuit, pourquoi les banques n’en font-elles rien ?
Mais si : elles se prêtent entre elles ! Ce qu’elles ne faisaient plus depuis l’été 2008.
Et puis le crédit repart… Mais nous attendons toujours de comprendre pourquoi le décollage apparent des encours ne se traduit par aucune accélération de la consommation.
En ce qui concerne la fin des mesures « non conventionnelles », cela surviendra dès que l’inflation sera remontée autour de 2%. Un objectif que visent unanimement toutes les grandes Banques centrales, notez-le bien. Puisqu’elles sont toutes d’accord, c’est que cela ne peut pas être idiot.
C’est pourtant totalement arbitraire : Pourquoi pas 1,628% ou +2,38% ?
Et l’inflation ? Tout dépend en réalité de ce que les outils statistiques mesurent.
Des prix immobiliers multipliés par 2 en 10 ans à Paris, par 3 en 15 ans à Londres, un coût des études multiplié par 5 en 20 ans aux Etats-Unis : Cela ne participe-t-il pas un tant soit peu à l’inflation ?
François Villeroy de Galhau ne veut pas se lancer dans ce genre de débat stérile. Il s’en tient à l’inflation officielle. Point barre !
Bon, d’accord… Va pour l’inflation qui exclut tout ce qui rabote le pouvoir d’achat des ménages… Mais les taux négatifs, qui rognent l’épargne des futurs retraités… ce n’est pas un problème ça ? Bien sûr que non ! Puisqu’il n’y a pas d’inflation : même si les OAT ne rapportent que 0,5% en moyenne, c’est positif. Alors que si la hausse des prix atteint +3% et que le rendement des OAT est de +2%, l’épargnant y perd forcément.
Ce raisonnement est tronqué, voire fallacieux, car quand les prix grimpent, les salaires en font autant (ce qui neutralise l’inflation). Et l’épargne retraite étant proportionnelle à la masse des revenus distribués, il y a plus d’argent au travail.
De plus, l’effet multiplicateur des intérêts composés donne le sentiment que l’on ne se fait pas confisquer son épargne… à condition d’échapper à la fiscalité telle qu’elle est conçue dans notre pays.
Notre patron de la Banque de France écarte le danger de voir les assureurs européens en difficulté pour verser des pensions : ils peuvent faire tellement de plus-values sur leurs portefeuilles obligataires qu’ils ne sauraient manquer de liquidités. Sauf que ça, c’est de la langue de bois. Simone Wapler a parfaitement démontré et démonté, dans ce dossier, le problème des taux négatifs et des assurances-vie qui risquent d’être gelées si les taux bas perdurent.
Et qu’arriverait-il si leurs matelas Bons du Trésor cessait de gonfler artificiellement à coup de QE, parce que le marché se mettrait à douter que le risque vaut zéro et exigeait une rémunération adéquate « comme avant » ?
Excellente question. Comme toutes les précédentes auxquelles je n’ai apporté aucune réponse sensée… Mais, désolé, le temps imparti pour cette interview est terminé.
Hausse des taux, hausse des marges des banques…
J’aurais bien voulu pouvoir lui demander par SMS pourquoi les banques américaines se mettent à grimper dès que ressurgit la crainte de voir la Fed resserrer sa politique monétaire.
Tout le secteur financier s’est envolé à Wall Street hier soir en découvrant que la Fed, qui publiait le compte-rendu de sa dernière réunion d’avril, n’écartait pas la possibilité d’un tour de vis au mois de juin. Un scénario auquel les opérateurs n’accordaient pas plus de 5% de probabilité en début de semaine !
C’est bien la preuve que les banques n’espèrent même plus accroître leur activité de crédit, faute de demande. Elles comptent se rattraper sur les marges. Je vous invite à voir ou revoir la vidéo spéciale Crédit du mois dernier dans laquelle je vous expliquais pourquoi les Banques centrales considèrent le crédit comme l’alpha et l’omega d’une économie.
Pas de croissance du business, mais des taux plus élevés… N’est-ce pas le résultat inverse de celui recherché par les Banques centrales ? N’est-ce pas précisément la définition du cauchemar des marchés ?